The University of Chicago Library The University of Chicago Library Italian Women Writers homepage Italian Women Writers homepage Find Authors Find Editions Find Full-Text Titles Find Divisions (letter, preface, scene, act, etc.) Search Texts - Basic Search Texts - Advanced Help Comments The ARTFL Project homepage Electronic Full-Text Sources homepage

Adelaide Ristori
Ricordi e studi artistici
Torino: L. Roux, 1887

ARTICOLI CRITICI, GIUDIZI E POESIE SU ADELAIDE RISTORI


[p. [305]]
A madame Adelaïde Ristori

La voilà parmi nous cette autre Melpomène
Souveraine de l'art et que l'art nous ramène,
Ornant à mes regards charmés de son succès
Son front italien de mes lauriers français.
Où trouver des accents plus vrais, plus sympathiques?
Quels beaux yeux ont versé des pleurs plus poëtiques?
Quelle âme ne s'ément pour elle et n'admira
Françoise et Rosmunda et Stuart et Myrra?
De toi notre patrie a le droit d'être fière;
Des poëtes français, o Muse hospitalière,
Toi dont le noble coeur, sublime Ristori,
Vient offrir à leurs vers un généreux abri,
Tu resserres les noeuds d'une heureuse alliance.
Les enfants du Piémont nous prêtant leur vaillance
Ont devant le canon d'un ennemi puissant
Avec nous confondu leurs drapeaux et leur sang.
Et la paix est le prix de ce sang heroïque.
Toi dans le champ des arts, guerrière pacifique
Tu rapportes ici des bords de la Dora
Le céleste rayon qui toujours t'éclaira,
L'ardente passion, la flamme inspiratrice
Qui fait le grand poëte et la sublime actrice

[p. 306]
Et la voix aux sons purs si fiers et si touchants
D'une lyre française interprète les chants:
Par toi revit Médée, et la sorcière antique,
Grâce au digne héritier d'un bon nom poëtique,
Grâce à ton jeu divin qui subjugue les coeurs,
Retrouve sa magie et ses charmes vainqueurs.

Samson.

Probablement il n'y avait aucune corrélation entre l'arrivée de Me Ristori à Paris et les plans secrets de Mr de Cavour; mais Alfred de Musset se plut à considérer le voyage de cette grande actrice comme un présage du lien étroit qui devait unir la France et l'Italie. Son assiduité aux représentations de Mirra et de Marie Stuart fut telle, qu'à moins d'être malade ou alité, il n'en manqua pas une seule. Le buste de Me Ristori, par le sculpteur italien Lanzirotti, prit place dans son petit musée, sur un haut piédestal construit exprès, et, en s'amusant à jouer sur le nom, il appelait cette noble figure l'Italia ristorata. La poësie devait venir à son tour rendre hommage à la grande tragédienne étrangère.

Alfred commença des stances, que, par malheur, il ne mit point sur le papier, ne les jugeant pas assez achevées. Voici tout ce que j'en ai pu retrouver, avec l'aide de la gouvernante, qui entendit réciter ces vers un par un, à mesure que le poëte les composait.

Paul de Musset.

Pour Pauline et Rachel, j'ai chantè l'Espérance,
Et pour la Malibran je me suis attristé.
Grâce à toi, j'aurai vu dans leur toute-puissance
   La Force unie à la Beauté.


[p. 307]
Conserves-les longtemps; celui qui t'en supplie
À l'appel du génie eut le coeur toujours prompt.
Rapporte en souriant dans ta belle Italie
   Une fleur de France à ton front.

Quelqu'un m'avait bien dit, revenant de voyage,
Que nous autres Français, nous ne connaissions rien,
Qu'il t'avait par hasard entendue au passage,
   Et gardait dans son coeur un cri parti du tien.

Quelqu'un m'avait bien dit que, malgré la misère,
La peur, l'oppression, l'orgueil humilié,
D'un grand peuple vaincu le genon jusqu' à terre
   N'avait pas encore plié.

Que ces dieux de porphyre et de marbre et d'albâtre
Dont le monde romain autrefois fut peuplé,
Étainet vivants encore, et que dans un théâtre,
   Une statue antique, un soir avait parlé…

Alfred De Musset.

Chère et illustre, j'ai été pour vous embrasser aujourd'hui sans pouvoir pénétrer jusqu' à vous; et vous, vous êtes venue chez moi pendant que j'étais au fond des forêts.

Mais que je vous voie ou non, j'ai les yeux, la tête et l'âme toujours remplie de vous. Vous étes pour moi une révélation nouvelle, une de ces deux ou trois expressions du beau et du grand que l'on rencontre deux ou trois fois dans la vie. Vous étes dans Rosmunda la divinité de la force et de la vengeance, une de ces figures que les arts n'ont pu produire que dans les plus grandes époques; et la nôtre paraît si petite pour vous contenir et vous comprendre! Soit que
[p. 308]
vous manifestiez la passion sauvage ou la passion intelligente, tout être intelligent ou sauvage devrait se prosterner devant vous.

Pour mon compte, je m'incline avec toute l'admiration qui est due au génie, à la superbe créature aimée de Dieu, et avec toute la tendresse qu'inspire la femme aimable, bonne, simple, et aimante, que vous êtes.

À vous donc, de tout mon coeur.

Paris, 28 mars 1856.

Georges Sand.

Frammenti d'uno studio critico di Alessandro Dumas sopra la Ristori dopo la recita di Rosmunda

Théâtre Italien.

«Rosmunda» tragédie d'Alfieri, première représentation.

Ceux qui ont vu au Théâtre Français la première représentation de la Rosmunda de C. M. Latours S'Hars, ont vu le prologue de la Rosmunda de Alfieri.

Alboin, roi des Lombards, vainqueur et meurtrier de Cunimond, force Rosmunda, sa fille, à boire dans le crâne de son père. Rosmunda, exaspérée par cet acte de cruauté, détermine Almachilde, son amant, à tuer Alboin, et Alboin mort, s'enfuit à Ravenne avec son meurtrier.

Là des nouveaux sujets de mécontentements contre son nouvel époux la déterminent à se débarrasser de lui, comme elle a fait du premier, à fin d'épouser l'exarque Longin. Mais Almachilde s'aperçoit à temps du projet de sa femme, et la force à boire le poison préparé pour lui.

Voilà l'histoire ou à peu près.

Le premier des deux paragraphes se rapporte à la tragédie de Mr Latours S' Hars, le second à celle de Alfieri.
[p. 309]

Le 1er acte est composé de trois scènes:

1re scène--Rosmunda, fille de Cunimond tué par Alboin.

Romilde, fille de Alboin tuée par Rosmunda et Almachilde.
Au lever du rideau, les deux femmes sont en scène et se disputent.

Il y a combat entre Almachilde et Clefis.

Romilde, fille d'Alboin, fait naturellement des voeux pour ce Clefis ennemi de Rosmunda et Almachilde. Rosmunda pour la punir des voeux qu'elle fait, lui annonce qu'elle a décidé de la marier à Alaric.

Rosmunda ordonne à Romilde de sortir, et reste seule. Là elle expose la vraie cause de sa crainte; son mari ne regarde pas Romilde avec cet oeil de dédain dont l'assassin regarde la fille de celui qu'il a assassiné. Rosmunda est jalouse.

Almachilde--Je vous le jure par cette épée, et par Ildovalde. Rosmunda m'entendra.

--La voici. Ecco, ella viene, nell'ira, s'écrie Romilde.
Rosmunda, ou plutôt Madame Ristori entre en effet; son entrée est splendide, royale, effrayante; jamais front royal n'a été chargé d'un plus sombre nuage de haine et de menace; on comprend que tout plie devant cette Rosmunda.

Elle renouvelle l'expression de sa volonté devant les deux hommes. Romilde partira le lendemain; si elle ne part point de bonne volonté, le chef de l'escorte l'entraînera de force.

Après avoir été magnifique en interrogeant, Madame Ristori devient magnifique en écoutant. C'est un mirori que ce beau visage qui laisse transparaître l'âme, et qui laisse voir chaque
[p. 310]
sentiment--la haine, come la jalousie--la joie, comme la douleur.

La scène continue d'être splendide, de reproches, de mépris, de dédains; cette banale phraséologie tragique, se transforme en phrases ardentes, douloureuses, échappées du coeur. Enfin Almachilde sort en jurant qu'il protégera Romilde, même contre Rosmunda, et Rosmunda reste seule.

“Ah! s'écrie celle-ci, tu as donc cru que je t'aimais! Oh, je ne t'aime pas et tu le verras bien; fureur, haine, jalousie, rage, dédain, superbe, affection impure, sortez tous de mon âme; reviens seule oh vengeance, viens et remplis-mois toute entière de ton nom; si je t'ai eu toujours pour précieuse et pour seule divinité”.

Il faut avoir entendu ces paroles sortir de la bouche de la grande artiste, pour avoir l'idée du degré auquel peut atteindre une langue humanie.

Toute la salle pour la troisième ou quatrième fois éclata en applaudissements, les bouquets ont commencé de pleuvoir.

A partir de ce moment le génie de l'auteur nous arrache des mains la plume du critique; que vous importe, de qui est la pièce que joue cette terribile Rosmunda? C'est une femme furieuse, c'est une tigresse jalouse, c'est une lionne qui a une rivale, elle se vengera en lionne, en tigrese, en femme; à un moment donnè elle mettra la main, la griffe, l'ongle, sur Romilde, elle l'emportera en la secouant entre les dents; puis quand elle sera arrivée là où ne peuvent l'atteindre ni l'amant, ni le mari, elle les raillera tous deux, le poignard sur la poitrine de l'enfant, et en même temps que la raillerie sanglante s'enfoncera dans le coeur des deux hommes, l'implacable poignard pénétrera dans la poitrine de sa rivale, qui n'en aura pas moins d'opposer d'autre résistance, que celle de quelques cris faibles et entre-coupés.

Nous ne dirons pas: Jamais Madame Ristori n'a été plus belle, n'a été plus grande, plus pathétique. Madame Ristori
[p. 311]
a touché le limite du beau dans Myrra, le limite du grand dans Marie Stuart, le limite du pathétique dans la Pia. Mais nous dirons: Jamais Madame Ristori n'a été plus étonnante. Comment les assemblages de qualités opposées se trouventelles donc réunies dans la même femme, comment Ophélie avec Lady Macbeth, comment Rosmunda avec Myrra?

Oh encore dans Shakspeare, dans le poète humain, dans le maître immortel, cela se comprend, son génie soutient l'acteur.

Mais que ferait donc celle qui tire un monde du néant, si on lui donnait un monde tout-fait?

Elle le dédaignerait. Qu'a-t-elle besoin du Génie de l'auteur, cette femme qui crée de son propre génie; et pourquoi accepterait-elle le monde des autres, elle, qui peut se faire un monde?

Et maintenant expliquez une chose inexplicable, c'est comme dans ce rôle odieux, colérique, insensé, dans cette mégère, dans cette furie, dans cette Tisiphone; expliquez comment là, où tant autre ferait horreur, Madame Ristori reste sympathique.

C'est que chez la grande Artiste tout vient du coeur. C'est qu'elle montre combien elle souffre, avant de montrer comment elle se venge; c'est qu'on est forcé de pardonner un grand crîme à la suprème douleur.

Au milieu des cris de brava, des applaudissements, des hurras, des bouquets, et des coeurs qu'on jette à Madame Ristori, prenons un simple fleur, une violette, une marguerite, un myosotis, et offrons-le à la charmante enfant qui joue Romilde.

L'oiseau dans la serre de l'aigle, la gazelle dans la griffe du tigre ne palpite pas plus gracieusement et plus douloureusement à la foi qu'elle n'a fait sous le poignard de Rosmunda, sous le regard de Madame Ristori.

A. Dumas.
[p. 312]

Divine femme, j'ai tant pleuré d'admiration, d'effroi, de pitié et d'enthousiasme, qu'en rentrant chez-moi, je ne peux rien vous dire, si non que je suis brisée.

Mais ces émotions-là font du bien, et laissent dans l'âme une force et une foi. Vous êtes adorable et sublime; on se sent plus fort et plus vivant quand on vous a comprise.

Je sais qu'une douleur de famille est tombée sur vous à la veille de ce nouveau triomphe.

Croyez que je compatis bien à ce déchirement de votre belle âme que la gloire n'enivre pas.

A vous de toute la mienne.

Paris, 9 avril 1856.

Georges Sand.

Dopo una recita di Pia de' Tolomei

Valor, beltà, disgiunte pria, s'unirono
Sull'italiche scene in questa sola,
E fèro onnipotente, irresistibile
La sua parola.

C. Marenco.

EugÈne Scribe

pour témoigner à Madame Ristori toute son admiration, et la remercier de tout le plaisir qu'il a éprouvé hier soir.

Paris, 23 mai 1855.
[p. 313]

Dimanche 9, rue Vendôme, n. 8.

Madame,

J'aurais bien à coeur de vous remercier de votre bonne et charmante visite avec le tant aimable Mr Del Grillo; je voulais vivement vous dire tous les regrets de ma femme, qui dans son émotion en vous voyant, craint de ne pas vous avoir reçue.

J'avais à coeur de vous applaudir une dernière fois cette année, et enfin de vous demander le baiser d'adieu, en vous priant d'agréer mes souhaits sincères pour l'heureux voyage et un heureux retour.

J'ai donc voulu profiter de votre bonne invitation en me rendant à votre loge hier au soir… mais j'ai été arrêté par la concierge, qui m'a dit d'avoir des ordres formels.

Il m'a montré une liste des personnes à laisser passer; je n'étais pas sur cette liste, et l'on a pas même voulu vous faire remettre ma carte, qui au moins, Madame, vous eût dit que je n'avais pas manqué de venir.

Aujourd'hui, Madame, vous devez appartenir toute à votre famille et à vos préparatifs de départ; nous n'auront donc pas l'indiscrétion d'aller vous déranger quelque vif désir que nous ayons de vous voir encore une fois… et ce sera cette lettre qui vous portera nos regrets et nos adieux.

Mais c'est au revoir, Madame, qu'on peut vous dire; et si l'hiver nous semble cette année plus long qu'à l'ordinaire, le printemps aussi nous paraîtra plus beau, puisque avec les fleurs, et les hirondelles, les doux rayons, il nous ramènera la grande, et belle, et bonne, et chère Ristori.

Partez donc, chère Madame, puisque vous devez revenir, et que toutes les générosités de Dieu accompagnent partout votre douce et charmante famille. Que le bonheur vous suive, si la gloire vous précède!

… Gloire et bonheur, c'est plus que Dieu ne donne d'habitude, même à ses bien aimés, mais il peut bien faire exception pour vous, et ainsi fera-t-il.
[p. 314]

Au revoir, chère, grande Artiste, noble femme, véritable mère… Si quelquefois entre des triomphes, aux heures du coin du feu, une parole, un incident, un rien, vous fait penser un moment à notre petit ménage, où l'on s'aime comme chez vous; où l'on aime bien l'art comme chez vous; où il manque, hélas, les chers bambini, qui fleurissent chez vous… dites-vous, chère Madame, que nous pensons à vous, croyez bien que dans cet immense Paris, qui vous a comprise, aimée, acclamée, il n'est beaucoup de coeurs qui vous aient comprise plus soudainement, acclamée plus sincèrement, aimée d'un sentiment meilleur!… Votre retour sera un événement pour Paris, ce sera une fête pour nos deux coeurs.

Adieu, Madame! voyage heureux. Heureuse santé. Beaux triomphes.

Restez, comme dit le poète allemande:

«Dans la main de Dieu»
Votre ami: Edouard Plouvier.

(PS.) Avez-vous reçu, Madame, mon volume de contes: La Buche de Noël, pour lire un jour à vos enfants?

26 juin 1855, rue Vendôme, n. 8.

Madame,

Je voudrais être le plus grand poëte du monde pour vous offrir des oeuvres dignes de vous, et aussi pour offrir des rôles à la plus grande comédienne du monde, pour moi, à vous… Je ne suis que l'humble auteur de quelques vers, d'un peu de prose, et de quelques comédies. Voulez-vous me faire la joie et l'honneur d'accepter la dernière que j'ai fait jouer au Théêtre Français? Vous me rendrez bien heureux.

Ma femme a été sensible bien vivement à vos bonnes paroles d'hier que je lui ai redites. Elle sera bien heureuse
[p. 315]
d'aller vous embrasser dès qu'elle ne répétera plus, et vous applaudir dès qu'elle cessera un soir de jouer; en attendant tout le bonheur est pour moi, qui ce soir pourrai baiser les belles mains de Madame Ristori et applaudir à Marie Stuart.

Mes cordialités les plus vives et les plus affectueuses, je vous en prie, Madame, à Monsieur votre mari, qui, si vous êtes en ce moment la plus grande comédienne du monde, est certes l'homme du monde le plus heureux.

A ce soir, Madame, sur le champ de bataille, je veux dire à l'autel du triomphe.

Veuillez bien me croire, je vous en prie, Madame, le plus dévoué, et le plus fervent de vos admirateurs.

Edouard Plouvier.

A madame Ristori

Toi qu'au tragique Aron la riche France envie,
Tu rends au grand Toscan plus que tu ne lui dois:
Si Dieu l'a fait poëte, il t'a fait poësie!
Du timbre de ton coeur la scène a fait sa voix.
Dites, vous qui pleurez! lequel est le poéte,
De celui qui nota sous son doigt ces accents
Ou de celle qui prend sur la page muette
Ces fantômes sans corps et leur prête des sens?
C'est lui, c'est toi, c'est vous! Vous n'êtes que deux âmes
La gloire en vous nommant, vous doit l'égalité,
Tu donnes de ton sang aux ombres de ces drames,
Et ce sang t'associe à l'immortalité.
Le drame est l'instrument où dort la lettre morte;
C'est envain qu'il contient tous les accords humains;
Il faut pour que la voix ou la douleur en sorte
Que le clavier d'un coeur soit frappé par tes mains.

[p. 316]

Le Marbre de Memmon sentait, bien qu'il fut pierre;
Mais son âme au soleil n'était que ta chaleur!
Nous pleurons; mais avant de mouiller la paupière
Ces larmes de nos yeux ont coulé de ton coeur.

Paris, 25 juillet 1885, après Myrra et Marie Stuart.

Lamartine.

Adelaide Ristori a Parigi

Su queste altezze della Franca fama
Scoperte agli infiniti occhi del mondo
Palma fioria contesa. E costei volle
Rapirla, audace, e aggiungerla all'alloro
Dell'italo giardin, ove le genti
La riverian, dell'alme imperatrice.
Oh come trepidante in sulla cima
Del Cenisio, le verdi ali librate
L'italo genio la guatò ramminga
Per l'inusata via, senza la fida
Nominanza che ognor la precedea
Sotto l'azzurro padiglion natio!
E schiamazzo spregiò di compri araldi
Modestamente altera, e sol fidente
Al Dio che la trasmuta in qual dipinga
E scolpisca e favelli alta compianta.
Ignota giunse… Attoniti mirammo
L'Itala pellegrina incantatrice
Ad or ad or risuscitar Francesca,
Mirra, Stuarda, e via portar la palma…
Spiccan l'Italo genio, e quel di Francia
Dall'Alpi il volo, e a lei suonan dall'alto,
Ripetuti da mille echi, gli osanna.
Parigi, 28 luglio 1855.

Guiseppe Montanelli.
[p. 317]

Torino, 20 aprile 1861.

Cara Signora Marchesa,

Le sono gratissimo dell'interessante lettera ch'ella mi scrisse ritornando da Pietroburgo. Se ella non ha convertito il Principe Gorschacoff, convien dire ch'esso sia un peccatore impenitente, giacchè gli argomenti ch'Ella seppe con tanta abilità adoperare per sostegno della nostra causa, mi paiono irresistibili. Ma mi lusingo che se il Principe non volle in sua presenza mostrarsi ricreduto, le sue parole avranno lasciato nell'animo suo un germe che si svilupperà, e darà buoni frutti.

Continui a Parigi il patriottico Suo apostolato. Ella deve trovarsi in mezzo ad eretici da convertire, giacchè mi si assicura essere la plebe dei saloni a noi molto ostile. È di moda ora in Francia, l'essere papista, e l'esserlo tanto più che si crede meno ai principii che il Papato rappresenta. Ma come tutto ciò che è moda, e non riposa sul vero, questi pregiudizi non dureranno, massime se le persone le quali, come lei posseggono a grado eminente il dominio di commuovere, predicheranno la verità in mezzo a quella società che, ad onta di molti difetti, più d'ogni altra sa apprezzare il genio e la virtù.

Mi congratulo dello splendido successo ch'Ella ha ottenuto sulle scene francesi. Questo nuovo trionfo le dà un'autorità irresistibile sul pubblico di Parigi, che deve esserle gratissimo del servizio ch'Ella rende all'arte francese. Se ne serva, di questa autorità, a pro della nostra patria; ed io applaudirò in Lei non solo la prima artista d' Europa, ma il più efficace cooperatore nei negozi diplomatici.

Mi voglia bene e mi creda

Suo Dev. mo: C. Cavour.

alla gentilissima signora
Adelaide Ristori
Marchesa Capranica Del-Grillo.
Parigi.
[p. 318]

CORPI VOLONTARI ITALIANI
COMANDO
DEL QUARTIER GENERALE

Storo, li 16 luglio 1866.

Gentile Signora,

Ricevo lettera del dott. Riboli, che mi mette a conoscenza di quanto fate per i nostri Volonatri.

Io, in nome loro, vi significo tutta la riconoscenza che si può sentire per un'Italiana come Voi, che al cuore ed alla gloria di Artista, aggiungete quella di Patriotta.

Credetemi

Dev. mo Vostro: G. Garibaldi.
Gorizia, 24 marzo 1854.

Egregia Signora,

Avendomi scritto Cecchino le peripezie letterarie e le fortune artistiche della mia Elisabetta, e siccome di queste fortune vado a Lei debitore, così soddisfo ad un bisogno del cuore, esternandole i sensi della mia grande stima e riconoscenza. Io la ringrazio per aver stesa la mano potente alla mia Regina Vergine, messa alla porta del teatro Carignano, e per averla ricondotta bella e trionfante sul palco. Mi auguro sempre delle Commissioni letterarie che mi atterrino; e delle Ristori che mi rialzino siffattamente. Così, se alla mia Elisabetta, nata fra le afflizioni del cuore, mancheranno tutti i pregi, nessuno le negherà quello di aver inspirata una grande Artista.

Ed io pure troverei nuove e forti inspirazioni, se avessi la fortuna di scrivere ancora per la R. Compagnia; ma ho cessato quando sarebbe stato bello il cominciare.

Intanto, siccome nessun sentimento è più puro di quello che
[p. 319]
un autore prova per l'artista che lo ha così bene compreso, e fatto comprendere, così la prego a credere in questo sincerissimo mio, col quale mi onoro di prostrarmi.

Dell'Egregia Signoria Vostra

Ammiratore e Servo Dev. mo Paolo Giacometti.

All'insigne attrice italiana
la signora
Adelaide Ristori
marchesa Capranica.
Torino.

Illustre Signora,

Non saprei ben dirle chiaro il come o il perchè; ma forse il pensiero che il degnissimo signor marchese di Lei marito ha una lettera da rimettermi; e quell'arcano e curioso legame che pur c'è tra i cervelli e le gambe degli uomini, mi trassero ieri al teatro, dal quale me n' ero, or sono tre anni, volontariamente sequestrato, per tedio e stanchezza di prediche e di predicanti. Or bene, la Ristori mi era perfettamente sconosciata, se non per la gran fama che circonda il suo nome; e son costretto di protestarle che io provai a sentirla, quella infinita commozione che ho provata sette anni fa, alla lettura d'un libro, che non avevo mai letto: La vita di Plutarco.

Sono pure incauti gli uomini che si divorano in breve spazio di tempo tutte le sublimi gioie e le profonde bellezze dell'intelletto e dell'anima.

Ieri sera io non ho saputo desiderare se non che il mio povero Marenco fosse tornato un istante nel mondo a rivedere i suoi flgliuoli e questa sua Pia; chè gli sarebbe stata ben compensata la momentanea sua fuga dal paradiso.

Ma è da sperare, anzi da credere, che le voci e i gemiti dell'arte vera, sieno così onnipotenti da salir lassù in quel
[p. 320]
tempio d'intelligenza e di gloria, dal quale vengono e al quale ritornano perpetuamente tutte le ispirazioni immortali. Ond' è che il mio povero amico l' ha udita di certo; ed è ben più capace di ringraziarla che noi, ed è ben più forte che ogni parola umana a proteggerle lo stupendo ingegno, e pregarle da Dio lungamente famosa e felice la vita.

Me Le protesto pieno di sincera e riverente ammirazione

Di casa, 18 febbraio 1853.

G. Di Prati.

Felice, oh quanto! e glorioso il vate
S'entro tua mente suo concetto scrivi
E Te in quello trasformi e a noi l'avvivi
Con le voci dell'anima infiammate.

E con la multiforme tua beltade
Che ha il fulgido splendor dei simulacri
E col poter dell'Arte, a cui rapivi
Tutti i segreti, a onor di nostra etade;

E fede negheran forse i nepoti
Al parlar con silenzio ed a l'impero
Onde l'imo del cuor ci turbi e scuoti.

Color che fan visibile il pensiero
In tela o in marmo, han da te gli occhi immoti
Chè quanto pingi, ha la virtù del vero.

«Onore a te che Italia e l'Arte onori»

(Motto intorno alla medaglia offerta alla Ristori dai Parmensi) Parma, 27 ottobre 1848.

Jacopo Sanvitale.

Rachel, m'avait tué! Qui m'a fait vivre?… Toi!

Legouvè
[p. 321]

En Medea y en Maria Estuardo, en Camma y en Pia, en Mirha y en la Locandiera, os encuentro grande, admirable, sin rival. Quereis saber cuando me pareceis mas digna de admiracion. Pues bien; os admiro siempre mas la ultima vez que os veo y tengo el placer de oiros.

Madrid, 8 de octubre de 1857.

El Capitan General
Narvaez
Duque de Valencia

Della figlia di Ciniro infelice
L'orrendo a un tempo e innocente amore
Rappresentar ti vidi; ed io sentia
L'immane tuo dolore
E della offesa Diva
La tremenda vendetta ed il furore.
   Non Arte, ma Natura
Ti fu, Donna gentil, sola maestra;
Ma li teneri affetti, il dolce pianto,
Della voce all'incanto
Generosa ti diede; e quando vide
Nel tuo capo la tragica corona
Fra i plausi, ella gridò: «paga son io»;
La Ristori è mia figlia, il trionfo è mio!
Parigi, 19 settembre 1855.

J. Martinez de la Rosa.

Rayo te admiro de venganza en Camma
martir de castidad, te lloro in Pia,
reina y amante viendote en Maria
adoro en ti la victima y la dama.

[p. 322]

En Judit de tu fè la ardiente llama
mi corazon extatico encendia,
y al mirarte en Medea, el alma mia
de la tuya à la par detesta y ama.

Quien eres tu que asì de las pasiones
la tempestad desatas, cuyo creente
el espiritu abisma en lo profundo,

ò le arrebata à empireas regiones?
Diosa del Arte; el soplo de tu aliento
crear pudiera de la nada un mundo.

El Catedratico de Economia politica
de la Escuela Industrial y de Comercio de Valencia

Mariano Carberas y Gonzales.

Après la représentation de Béatrix.
Votre Béatrix n'est qu'un rève!
Mais crie-t-on partout: mais Ristori parait.
Soudain un autre cri j'élève;
Ta Béatrix n'est qu'un portrait!

Legouvé.

A adelaide Ristori

On a vu de grands artistes assembler peu à peu, par une reflexion savante, les parties décomposées d'un caractère que leur analyse amenait enfin à l'unité et à l'harmonie, et que leur talent exprimait avec une vérité lentement conquise; c'est une très-belle oeuvre de l'intelligence humaine; c'est la science de l'art, pour ainsi dire; mais ce n'est pas la poésie
[p. 323]
de l'art. Et l'artiste drammatique ne doit-il pas être surtout un poète; c'est-à-dire, comme l'entendaient les anciens, un inspiré, qui une fois saisi par un grand sujet, recrée d'un souffle et développe spontanément par un sentiment d'ensemble plus encore que par une pensée analytique ce qu'un autre a créé avant lui; engageant dans cette création d'autrui devenue la sienne non pas seulement son intelligence, mais son âme, sa vie morale, sa personne tout entière?

Une des plus grandes joies qui pouvaient nous être données a été de nous trouver en présence de cet idéal réalisé, lorsque l'artiste qui nous avait déjà montré avec une grandeur si chaste et si tragique tour à tour, l'âme humaine aux prises soit avec la fatalité du théâtre grec, soit avec ses passions et celles d'àutrui lorsque cette artiste d'un seul élan de son coeur a ressaisi un antique idéal qui avait coûté des années d'études et de méditations à la philosophie et à l'histoire. Des ombres de la Gaule qu'on évoquait du fond des siècles, elle en a refait des êtres vivants; elle nous a donné non l'image, mais la noble réalité, elle a imposé à une génération sceptique l'admiration d'un drame où l'action est comme suspendue entre le ciel et la terre, et où la vie actuelle, la vie future, ne font qu'une. Elle a fait resplendir sur notre scène le spectacle le plus religieux dont le théâtre d'aucune nation ait jamais été témoin, en nous montrant de toute la sublimité de son extase, cette mort joyeuse des Gaulois; cette délivrance de la mort qui stupéfiait les Grecs et les Romains.

Une certaine douceur chrétienne en attendrissant le sauvage héroïsme de cet élan vers l'immortalité, complète ce tableau qu'on peut résumer en quelques mots: «rien sur la scène depuis notre Corneille, n'a donné une impression si propre à élever l'âme humaine».

14 mai 1857.

Henry Martin.
[p. 324]

Myrra nous a pris tous dans sa large ceinture
Sanglante et dénouée.--Elle apparut ici
Comme la Passion brûlant dans la Sculpture.
Le livre de la Bible eût dit de vous ainsi:
«La France s'est levée, elle vous a louée
Comme la Femme forte, heureuse et dévouée
Fille du beau pays où résonne le: Sì!»
Paris, 2 septembre 1855.

Alfred de Vigny.
[p. [325]]

Feuilleton du «Mousquetaire« du 31 Mai 1855

L'immense succès obtenu hier par Mme Ristori, dans le rôle de «Myrra,» fait que, désireux d'enregistrer le premier ce succès, le «Mousquetaire» substitute aujourd'hui aux «Mohicans» le «rendu compte de la représentation d'hier».

Théâ Italien

«Myrra» tragédie d'Alfleri--Madame Ristori.

Alfieri ne s'est point occupé de la légende; Myrrha, chez lui, ne consomme pas l'inceste. Les cinq actes sont une lutte contre sa passion, un combat contre elle-même, et la minute qui entend l'aveu qu'elle fait de son amour à son père voit en même temps sa mort.

Suivons le développement de l'ouvrage et donnons-en l'analyse; ce ne sera pas long et surtout cela sera facile. (Ici tout le sujet des trois actes est raconté).
[p. 326]

ACTE IV. Myrrha, Euriclea

C'est toujours la même scène. Myrrha dit qu'elle est h eureuse, mais Euriclea ne s' y trompe pas. Ceux qui aiment cette scène-là doivent être bien contents.

Peréo accourt tout joyeux; c'est la même scène qu'au second acte: elle répète à Peréo qu'elle l'aime, et cet aveu, qu'elle lui fait chaque fois qu' elle le voit, le comble d'une joie immense.

Alors entrent les pontifes, les choeurs d'enfants, de jeunes filles, de vieillards.

Ciniro s'écrie:

--Peuples, etc., etc.,

L'heure du mariage est arrivée.

Chacun se met à genoux.

Oh! regardez bien Mme Ristori, et ne la perdez plus de vue, car vous ne verrez jamais rien de pareil à la scène qui va suivre.

Sa nourrice est près d'elle.

Le choeur chante.

La figure de Myrrha se décompose: elle pâlit, son front se couvre de sueur.

Remarquez que c'est réel.

Par quel artifice d'art ou de coeur l'artiste en arrive-t-elle là?

Je n'en sais rien.

Euriclea ne perd pas un mouvement de cette admirable physionomie.

--Ma fille, qu' as-tu?… tu trembles… ciel!

--Tais-toi, tais-toi.

--Pourtant?

--Non, ce n'est pas vrai, je ne tremble pas.

Le choeur reprend.

C'est Cécri à son tour qui s'aperçoit du trouble de sa fille.
[p. 327]

--Mais quoi! tu changes de visage! Malheur à moi! tu trembles et tu te tiens à peine sur tes pieds.

--Ah! par pitié, n'ébranle pas mon courage par tes paroles!…

--Je ne sais si mon visage… mais mon coeur et mon esprit demeurent fermes et immuables.

--Je me sens mourir dit Euriclea.

Le choeur reprend.

--Que dites-vous? s'écrie Myrrha. Déjà dans mon coeur… déjà je sens les redoutables furies… les voilà… elles m'environnent, secouant leurs fouets de vipères et leurs lugubres flambeaux… Ce sont là les flammes que mérite un pareil hyménée.

--O ciel! qu' entends-je? dit Ciniro.

--Ma fille! malheur! tu es folle! s'écrie Cécri.

--O mariage nefaste! il n'aura jamais lieu, murmure Peréo.

Les chants s'interrompent.

--Mais quoi! dit Myrrha, les hymnes se taisent? Qui me serre dans ses bras?… Oú suis-je?… Qu' ai-je dit?… Suis-je déjà épouse?… Malheur!

Oh! et quand on pense qu' il y a un Conservatoire pour lequel on dépense je ne sais combien par an, un million peut-être, quand il serait si simple de dire a toute femme qui se destine au théâtre: Nous supprimous les classes; allez voir Mme Ristori: voilà des billets.

Nous l'avouons, quand la toile est tombée après ce quatrième acte, où, pour la seconde fois, Mme Ristori était rappelée, nos yeux ont cherché dans toute la salle pour y chercher tout ce qu' il y a de femmes artistes à Paris.

Pas une.

Mais que faisiez-vous donc, vous qui vous intitulez reines de l'art?--je ne parle pas de celles qui jouaient ce soir-là et qui ne pouvaient pas venir--que faisiez-vous pour ne pas être dans cette salle qui éclatait sous les applaudissements et les bravos? savez-vous ce que vous eussiez vu?

Vous eussiez tout simplement vu une femme poétique
[p. 328]
comme Smitonhs, pathétique comme Dorval, digne et noble comme Rachel, vous eussiez vu ce miracle de tous les arts et de toutes le qualités réunies.

Oh! mesdames, mesdames, vous aviez bien affaire, à ce qu'il parait, hier soir?

Mais pensez donc que cette femme, autour de laquelle on devrait bâtir une muraille d'or pour qu'elle ne quittât point Paris, on ne donnera pas cinquante mille francs pour la retenir. Pensez donc qu'elle ne fait que passer, qu' un jour elle s'en ira, et que vous serez mortes, toutes--depuis la première jusqu' à la dernière--avant qu' il en vienne une pareille.

Je n' ai pas le courage de continuer cette analyse. Le cinquième acte n'est qu'une scène entre le père et la fille, toujours la même scène. Le pauvre Peréo s'est tué de désespoir. C' était ce qu'il avait de mieux à faire devant le «Sphinx» incesteux dont il ne pouvait deviner l'énigme.

Mais Ciniro a résolu d'en finir. Il presse Myrrha de manière à ce qu'elle n'échappe pas à cet interrogatorie terrible. Trois fois la fille impie veut fuir; trois fois, au moment où elle va disparaître, la voix de son père la retient, et elle revient en scène, et elle se rapproche de lui, et toutes les tortures de l' amour, tous les remords du crime sont en elle.

D'ailleurs, ce n'est plus une femme: le corps est assoupli, allangui, brisé; c'est une vague qui roule, c'est une écharpe qui flotte, c'est une couleuvre qui rampe.

Ah! Rachel, Rachel, vous qui, après avoir récolté des millions en Russie, allez récolter des millions en Amérique, venez voir comment cette fille, enviant le sort de sa mère, dit:

O madre mia felice!… almen concesso
A lei sarà… di morir al tuo fianco.
Venez voir comment, après s'être frappée de l'épée de Ciniro, comment elle rassemble ses vêtements sur sa blessure, pour cacher à sa mère le sang qui s'en échappe, venez voir surtout comment, abandonnée par sa mère, maudite par son
[p. 329]
père, comment, restée seule, expirante avec Euricelea, elle se relève, en se raidissant dans les convulsions de l'agonie, pour toucher une dernière fois de ses lèvres mourantes les lèvres miséricordieuses de la seule femme qui soit demeurée près d'elle, et comment, après avoir touché ces lèvres, elle retombe foudroyée.

Etudiez cela, Rachel, tâchez, aux qualités que vous avez, de joindre le quart des qualités que possède Mme Ristori; et, belle Danaé, que la pluie d'or tombe sur vous, nous dirons: «c'est justice!»

Et quand on pense qu'il n'y a rien dans cette tragédie de «Myrrha», qu' un style magnifique, disent les Alfiéristes, mais pas une indication; que cette femme, que cette artiste, que ce génie a trouvé, inventé, découvert tout cela.

Mais accourez donc, statuaires, accourez donc, peintres, prenez tout ce qu'elle vous donne; jamais pareil modèle ne posera pour vos tableaux et pour vos statues.

Après la chûte du rideau; chose inouïe en France, Mme Ristori a été rappelée trois fois.

Il est vrai que je suis à moi seul coupable de la troisième, mais la salle, avec qui je persistais à applaudir, s'est promptement et chaleureusement réunie à moi!

Ah! voilà l'art vivant que j'appelais, que j'invoquais, que j'adjurais.

Il est venu.

Mais il est venu parlant la langue de Dante, de Pétrarque et de l'Arioste.

Etudiez-le donc, au nom du ciel, vous qui parlez la langue de Corneille, de Racine et de Victor Hugo.

Oh! si Mme Ristori jouait «Marion de Lorme», vous verriez quel chef d'oeuvre c'est «Marion de Lorme».

Mais elle joue «Myrrha».

Il faut rejouer «Myrrha», Madame, et si mes confrères les journalistes vous rendent le quart de la justice qui vous est due, je vous réponds que Tout Paris y sera.

Alex. Dumas.
[p. 330]

Le Monituer.--Revue dramatique, 4 Juin 1855

Théàtre Italien. «Myrra», tragédie en cinq actes, de Vittorio Alfieri; «Ilburbero benefico», comédie de Goldoni; «Niente di male», de M. Bon; «La suonatrice d'arpa», de M. Chiossone.
Le cosmopolitisme envahit décidément le théâtre: hier des Italiens, aujourd'hui des Espagnols, demain des Anglais! bientôt peut-être des Allemands:--les civilisations, non contentes d'envoyer au grand concours leurs produits matériels, y apportent aussi leurs idées;--le genre humain ne peut que gagner à ces fréquentations de peuple à peuple: bien venu soit Alfieri, bien venu Shakspeare, bien venu Calderon, bien venu Goëthe! Nous tâcherons de les comprendre, et, si nous ne savons pas encore leur langue, eh bien! nous l'apprendrons,--en attendant que les chemins de fer, le télégraphe électrique, la navigation aérienne aient fait de tous les dialectes des nations un idiome universel.

Nous pensions dans notre dernier article avoir donné à la Ristori les éloges qu'elle méritait, mais nous ne la connaissions réellement pas: la «Françoise de Rimini» ne pouvait nous faire soupçonner la «Myrrha»; elle y est de la plus haute sublimité--Jamais tragédienne n'a excité un pareil enthousiasme, et trois rappels successifs ont à peine suffi à exprimer l'admiration frénétique de la salle.

La tragédie d' Alfieri, dans le genre sobre, rigide et nu qu'il s'était imposé, est un véritable chef d' oeuvre. Figurez-vous un temple du dorique le plus austère,--plutôt le temple de Neptune à Pestum que le Parthénon,--lourdes colonnes d'un bloc, aux cannetures sèches, au chapiteau primitif, architrave á triglyphes sans métopes, fronton triangulaire dénué de sculptures, un art d'un grandiose aride et d'une perfection triste.--Certes, celui qui a élevé un pareil monument est un grand architecte, quoiqu' il ne soit peut-être pas agréable
[p. 331]
d'habiter son sévère portique.--Honneur toutefois au mâle poëte!--Son buste mérite une couronne aux feuilles de bronze.

Chacun sait, pour l' avoir lue dans Ovide, l' histoire de Myrrha. Un tel sujet dépasse en hardiesse les fureurs de Phèdre, et nous ne croyons pas qu'un poète français eût osé l'aborder: l'amour incestueux d'une fille pour son père révolte les délicatesses de l'âme; mais avec quel art profond, quelle maëstria suprême Alfieri en a suspendu l'aveu pendant cinq actes!

On ne saurait rêver rien de plus tragique que la Ristori, dans ce rôle qui tient toute la pièce.--Quelle pâleur fatale, quel accablement, quelle prostration, quels sanglots étouffés, quels pleurs contenus, quelles luttes de la passion et du devoir, quelles brûlantes insomnies, quels désespoirs farouches, quelle honte et quelle horreur d'elle-même, quelle soif de la mort libératrice et purifiante.--Comme elle varie ses inflexions, ses soupirs, ses attitudes!--C'est une statue antique, mais d' un marbre qui brûle et qui souffre; poursuivie par les furies de l'amour incestueux, oppressé par un horrible secret qu'elle ne trahit même pas en monologue, avec quelle inexprimable joie après ces mots: «Oh! bien heureuse ma mère!» rapide aveu aussitôt puni, elle rejette cette vie impossible, et enfonce le glaive paternel dans ce sein désormais délivré de l' impur mystère!

M. Rossi, le Paolo de «Francesca da Rimini», joue avec une intelligence poétique le rôle de Cyniro, le père de la malhereuse Myrrha; M. Boccomini a su être noble, intéressant et pathétique dans le personnage sacrifié de «Peréo», le jeune prince que Myrrha doit épouser et qu' elle rejette après l'avoir accepté, ne pouvant se résoudre à quitter son père.--L'Euriclea, (Enone honnête de cette tragédie incestueuse, est très-bien exprimée par Mme Righetti; Mme Borghi a de la tendresse et des entrailles, comme on dit en style de théâtre, dans le rôle de Cécri, la mère de Myrrha.

“Myrrha” fera courir tout Paris--selon la phrase consacrée.--Il n' y a pas besoin de savoir l' italien pour
[p. 332]
comprendre la Ristori, pas plus que pour entendre: «Il cor mi si divide»; par la musique de sa voix, par l'éloquence de son geste, par l'expression de sa physionomie, elle traduit à l'oreille et aux yeux la poésie d'Alfieri de manière à la faire arriver à l'intelligence indépendamment du sens des mots.

Théphile Gauthier.

La Presse, 3 juin 1855. Théâtres

Théâtre impérial, italien.--Les Comédiens ordinares de S. M. le roi de Sardaigne--Myrra, tragédie en cinq actes d'Alfieri--Mme Ristori.
Cette fois, nous avons à annoncer un succès qui est déjà le bruit, l'émotion, l'enthousiasme de la ville. En une soirée, Mme Ristori a conquis sa réputation parisienne; la place est prise, les coeurs se rendent, les admirations se soumettent, le public, la popularité, le bruit, l'attention accourent en foule à cette troupe italienne, hier encore un peu délaissée. Une grande tragédienne vient de se révéler et de frapper un de ces coups de génie qui font retourner toutes les têtes. La «Myrrha» d'Alfieri est, à l'heure qu'il est, naturalisée «Française». Phèdre peut l'appeler sa soeur, lui donner la main et descendre avec elle aux Enfers.

La fable de Myrrha est un des groupes les plus tragiques du musée secret de l'antiquité. Myrrha, fille de Cynire, roi de Cypre, devient amoureuse de son père. Elle profite du dèsordre des fêtes de Cérès pour se glisser dans le lit nuptial. Cynire, au reveil, reconnaît sa fille, et la chasse de son royaume en la maudissant. Elle fuit jusqu'en Arabie, où la pitié des Dieux la change en un arbre qui porte son nom.
[p. 333]

Il ne fallait rien moins qu'Alfieri pour traiter un sujet pareil. Lui même raconte, dans ses «Mémoires», qu' il désespéra longtemps d'y réussir.

De toutes les tragédies d'Alfieri, «Myrrha» est peut-être celle qui résume le mieux son génie aride et sublime, comme cette campagne de Rome qu'il parcourait de son galop de centaure. Ce n'est pas un peintre, mais quel statuaire! Il ne colore pas, mais comme il creuse! Chaque fois que j'ouvre une tragédie d'Alfieri, il me semble entrer sous un grand portique coupé d' ombres frigides et de grandes bandes de chaleur. Là, tout est marbre, symétrie, solitude, effet de proportions, majesté de lignes: des plafonds unis, un parvis de dalles, des colonnes d'ordre dorien, sous lesquels se promènent d'austères personnages sculptés dans des draperies sans franges et dans des manteaux à plis raides. N'y cherchez aucun des détails et des ornements de la vie: le couteau des sacrifices grecs, l'épée des suicides romains, la coupe de bronze où la mort fermente, meublent seuls cette enceinte spartiate où l'air lui-même semble raréfié.

Les personnages, réduits au nombre strict, s' accostent et se groupent avec une gravité lapidaire; une file, jamais de foule; peu de mouvements, des attitudes, mais rares, frapantes, extraordinaires, prises dans le marbre d'une fixité qui impose: des âmes enfin plutôt que des hommes; des âmes abstraites, nues, grandioses, dépouillées des formes périssables du temps et de la chair, qui s' aiment, se haïent, et s'apostrophent… à distance. Telles ces soucieuses figures de Michel-Ange, disséquées plutôt que peintes sur le fond neutre de la fresque, qui, d' un pendentif à l' autre, ont l'air de poursuivre un entretien solennel, au fond duquel un drame terrible est en jeu.

Mais quelle vigueur dans cette nudité! quelle complication de muscles et de nerfs accusent ces «écorchés» tragiques! quelle force de structure et de caractère!…
[p. 334]

Donc, rien d'extérieur dans «Myrrha»; l'horrible passion qu'elle recèle y couve à l'état de feu latent: on marche sur un sol calciné, mais il brûle en secret jusqu'au dénouement. L'unique effet des trois premiers actes est dans l'obscure mélancolie de la jeune fille que ni son père Cynire, ni sa mère Cécris, ni son fiancé Peréo, ni sa nourrice Euryclée ne peuvent éclaicir. A leurs caresses, à leurs prières, à leurs questions suppliantes, elle ne répond que par des plaintes vagues, sourdes, inarticulées. Une divinité la poursuit… la paix a fui de son coeur… des songes affreux agitent son sommeil… Peréo craint de lui être odieux, il lui offre de renoncer à sa main et de rompre un mariage qu'elle déteste peut-être. Elle refuse; bien plus, elle le conjure de presser l' heure de l' hymen: mais qu'il l'emmène bien vite loin de Cypre, en Epire;… et lorsque son père lui demande le motif de ce subit projet de départ, elle retombe dans des prostrations entrecoupées de mots évasifs; puis elle maudit Vénus, atteste les dieux, et se jette dans les bras d'Euryclée, en lui demandant la mort.

Amor, pietà verace
Fia 'l procacciarmi morte; a te la chieggio!
Et pendant trois longs actes, elle reste ainsi repliée sur elle même, terne, lasse, torve, hâve d' ardeur étouffée, une main sur sa plaie, un doigt sur ses lèvres contractées par les sanglots retenus ou par un triste et insignifiant sourire; et l'effet est immense, et je ne sais rien de plus dramatique que cette âme en peine, entêtée à se taire, et couvant son secret impie dans un noir silence. On le pressent, on le pénètre; des mots à double sens qui passent cà là dans l'obscurité de ses phrases le font deviner, mais il ne se déclare pas encore. Cependant l'esprit du spectateur se remplit d'angoisse, il s'acclimate à l' air de soufre qui, par degrés, envahit le drame; il sent qu' il est dans la caverne des filles de Loth; il se fait à ses ténèbres, s'apprivoise à son horreur, entrevoit l'inceste qui se cache là-bas, au fond, au plus fort de l'ombre, et se prépare à soutenir son aspect.
[p. 335]

Au quatrième acte, la situation éclate sans lumière; le coup de foudre précède l'éclair. L'encens brûle, les flammes s'allument. Peréo conduit Myrrha à l'autel; le pontife invoque sur les époux le sourire et la faveur de Vénus. Tout d'un coup, Myrrha pâlit, chancelle et tombe à la renverse sur le sein d'Euryclée. Son visage s'égare, sa bouche écume, son geste repousse les furies dont elle entend siffler les cheveux. «Suis-je déjà épouse?» demande-t-elle avec un frisson d'horreur.

«Son io già sposa? Ohimè!…» Cécris accourt pour la relever; alors un terrible accès de jalousie la saisit; de sinistres paroles échappent à son délire». O ma mère! s' écriet-elle, tu es la première, la seule, l'éternelle cause de tous mes maux!»

         Tu prima, tu sola,
Tu sempiterna cagione funesta
D'ogni miseria mia!
Et la toile tombe sur la première éruption de cette tragédie volcanique; ce n'est pas encore le feu de l'inceste, mais c'est sa fumée.

Le dénouement n'a qu'une scène, un groupe, un dialogue, le père et la fille; et l'oppression de l'attente est telle, que le rapprochement seul de ces deux personnages, ainsi isolés sur le point culminant de la tragédie, fait frémir la salle. Myrrha arrive, défaite, accablée; Cynire s'arme pour l'interroger de la majesté du roi et de l'autorité du père; il veut savoir le motif de ce désespoir insensé, de ces noces rompues, de cet affront fait à Peréo, qui vient de se tuer de douleur. L'amour seul peut inspirer de pareils délires: quel est cet amour? Quel qu'il soit, il l'excuse, il l'approuve, il est prêt à lui donner celui qu'elle désire. Myrrha veut feindre encore; mais les questions se succèdent pressantes, résolues, impérieuses; elles l'acculent au tombeau, où il ne lui reste plus qu'à se cacher après la honte de l'aveu. Ainsi vouée et résolue à la mort, elle parle, ou plutôt elle râle comme d'une voix déjà égorgée. Cynire l'a menacée de l'abandonner:
[p. 336]
«Oh! murmure-t-elle, trop heureuse ma mère!… au moins, il lui sera permis… de mourir… à tes côtés!…»

Oh madre mia felice!… almen concesso
A lei sarà… di morire… al tuo fianco…
et elle arrache du fourreau l'épée de Cynire, elle s'en transperce, elle tombe… Le roi sort en se voilant la tête de son manteau, comme l'Agamemnon de Timanthe; il repousse Cécris, accourue au bruit, lui dit un mot à l' oreille, et le père et la mère s'enfuient en maudissant; et l'incestueuse, abandonnée des Diex et des hommes, meurt au pied de l'autel de Vénus vengeresse, entre les bras de sa nourrice, restée seule à son agonie; solitude plus tragique que le désert où la Myrrha de la légende vient mourir et végéter dans les sables.

Que d' art il a fallu pour soutenir le crescendo de ce mystère, qui va de scène en scène, s'enflant et se grossissant, jusqu' à ce qu' il crève sous la pointe de l' épée, et que l'aveu s'en échappe dans un flot de sang! Un seule situation; mais qu'elle est tendue, serrée et poignante!…

J'ai dit la tragédie, elle a la beauté de ce temple nu où Sparte adorait la Peur. Comment dire l'admirable actrice qui la remplit de génie? Demandez-le à cet auditoire exalté, ravi, énivré, auquel elle a fait verser les plus belles, les plus nobles larmes que la muse tragique ait jamais fait couler. Dans les premiers actes, elle reste voilée et renfermée en elle-même; mais quelle divine pudeur elle donne à ce clair obscur! avec quelle réserve frémissante elle répond à la tendresse de son père! quelle émotion contenue! quelle flamme subitement glacée par le frisson du remords! Et ces attitudes! du marbre ému, de la sculpture qui palpit! Il y a un moment où elle cache sa tête dans le sein de sa nourrice, et la tient longuement embrassée; non, aucune expression ne peut rendre la piété filiale de cette noble étreinte. Imaginez Psyché, l'Ame embrassant la Vieillesse, et la transfigurant au contact de son immortelle beauté.

Au quatrième acte, dans la scène de noces, Mme Ristori a
[p. 337]
réalisé le beau idéal de la convulsion. Il y a eu là un moment d'éclat et de vertige à faire crouler la salle. Par quel miracle l'étonnante actrice arrive-t-elle à se décomposer ainsi elle-même et à simuler ce que le désordre des plus extrêmes sensations suffit à peine à imprimer sur les traits d'une femme? Ses yeux se cernent, sa bouche s'égare, sa voix se déchire, une sueur froide glace son visage. C' est l' ode de Sapho incarnée, faite chair, fièvre, pâleur, tressaillement.

Au dénouement, elle grandit encore. Il n'y a plus rien après cela dans l'art, dans la vérité, dans la nature. Il faut la voir polyée, frémissante, fascinée sous le regard de son père, s'éloigner de lui en frissonnant d'épouvante, puis revenir tomber dans ses bras ouverts, comme par la chûte d'une magnétique attraction, et se dégager de son étreinte, et se rapprocher encore; lutte déchirante entre l'âme, qui a honte et qui voudrait s'enfuir, et le corps qui revient machinal, instinctif, avide!

Elle est morte admirablement, avec une grâce, une douceur, une poésie ineffable. Elle tombe en ramenant sur le sang de sa blessure un pan de sa robe, et vous croiriez voir tomber une vierge martyre. Lorsque sa mère interroge Cynire sur son suicide et qu'elle s'aperçoit qu'il va tout lui dire, elle a un geste pour le supplier de se taire, un élan de pudeur réveillée en sursaut du premier sommeil de la mort, à arracher des larmes aux yeux les plus secs. Puis quand, délaissée de tous, elle se redresse en rampant sur ses mains, pour baiser le front ridé de sa vieille nourrice, et qu'elle défaille, et qu'elle retombe dans ce pieux effort, vous assistez au merveilleux spectacle de l'agonie morale surmontant les horreurs de l'agonie physique. C'est le départ de l'âme saisi au vol… de l'âme immortelle!

Le succès a été immense, soudain, passionné. Une fièvre d'émotion régnait dans la salle; tous les coeurs étaient montés au diapason sublime de l'actrice. On pleurait, on se récriait, on applaudissait à chaque scène. A la fin de la pièce, le public, pris d'un bel accès de fanatisme italien, a rappelé
[p. 338]
trois fois Mme Ristori: trois fois! le «nec plus ultra» de l'enthousiasme de Paris: l'équivalent du triomphe de Corinne conduite au Capitole.

A côté de Mme Ristori--et ce n'est pas là un médiocre éloge--M. Rossi a trouvé moyen de se faire applaudir dans le rôle de Cynire, qu'il a joué avec beaucoup de noblesse et de fermeté. N'oublions pas Mme Righetti, qui a représenté la vieille Euryclée, comme si elle sortait de l'Odyssée et qu'elle eût longtemps servi Ulysse, roi d'Ithaque. On n'a pas plus de dignité sènile et de bonté domestique. Ce n'est pas la duègne ni la confidente vulgaire de nos tragédies, mais la servante homérique, la « vénérable» servante, ainsi que l' appellent les hébreux eux-mêmes lorsqu' elle lave leurs pieds poudreux dans l'eau tiédie des trépieds.

Paul de Saint Victor.

Feuilleton Le Constitutionnel, 11 Juin 1855. Théâtres. Comédie Française

Anniversaire de Corneille--Mlle Rachel--Mme Ristori--Par droit de conquète, comédie en trois actes et en prose, de M. Legouvé.
L'anniversaire de Corneille a été dignement fêté à la Comédie-Française. Mlle Rachel est sortie tout-à-coup de sa retraite, d'où aucune démarche et aucune instance ne l'avaient pu tirer jusqu'ici, pour rendre un pieux et touchant hommage au génie immortel à qui la France doit le «Cid», «Polyeucte» et «Cinna». Saluée à son entrée en scène par une longue et bruyante acclamation, elle a joué «Camille» avec tout son talent, sa passion, ses fureurs, et, rappelée à grand cris, après le quatrième acte, elle a été accablée d' applaudissements et criblée de bouquets. Elle n'était pas annoncée la veille: on dit qu'elle ne s'est tout à fait décidée à consentir
[p. 339]
que son nom fût mis sur l'affiche que vers neuf heures du soir, pendant la représentation de «Myrrha», à laquelle elle assistait, et au moment où Mme Ristori était l'objet d'une ovation qui n'a jamais eu la pareille sur aucun théâtre. Que s'est-il passé dans le coeur de Mlle Rachel? Nul ne peut le savoir. En tout cas, si le triomphe inouï de «Myrrha» a vaincu les dernières hésitations de «Camille», nous devons nous féliciter d'un événement qui tourne au profit de l'art et qui honore également les deux grandes tragédiennes.

Mme Ristori était aux Français mercredi, dans une première loge de face, que M. Arsène Houssaye lui avait fait offrir en son nom et an nom de la Comédie-Française; elle n'a pas perdu un mot ni un geste de Mlle Rachel; elle ne quittait sa lorgnette que pour applaudir et applaudir encore avec une sincérité et une effusion tout italiennes.

Mme Ristori, qui est à la scène une admirable artiste, est dans le monde une vraie grande dame, Mme la marquise Capranica del Grillo. Elle a été parfaite de courtoisie, d'intelligence et bon goût. La veille on n'avait pas vu Mlle Rachel donner le moindre signe d'approbation; mais ce n'était, comme on le pense bien, ni dépit, ni froideur, ni oubli des plus simples bienséances dont l'hospitalité, à défaut de tout autre motif, lui aurait fait un devoir; c'était une attention plus concentrée, un intérêt plus soutenu, une curiosité plus ardente qui empêchaient et paralysaient chez elle toute manifestation extérieure. En admettant qu' il soit vrai, ce dont nous ne saurions répondre, que Mlle Rachel n'ait pas applaudi une seule fois visiblement, cela ne prouve pas qu' elle n' ait pas été frappée de la beauté et du talent, je ne dirai point de sa rivale, mais de son illustre soeur. Chacun de nous a sa façon d' exprimer ce qu' il sent, et on est plus ou moins démonstratif. Mlle Rachel applaudissait en dedans, et la preuve, c'est qu'elle était si émue et si souffrante, qu' elle a du se retirer avant la fin du spectacle.

P. A. Fiorentino.
[p. 340]

Feuilleton du Pays, journal de l'empire, du 29 Mai 1855

REVUE DRAMATIQUE
Théâtre Italien--Francesca da Rimini, de Silvio Pellico--I gelosi fortunati de Giraud--Mme Ristori.
Les Italiens et nos chers alliés de Sardaigne doivent, dans l'ordre de cette revue hebdomadaire, passer avant tout le monde, même avant Alexandre Dumas et Monte-Cristo. L'hospitalité nous impose de nouveaux devoirs jusqu'en novembre prochain. Ils sont venus, pleins de confiance en nous, ces artistes italiens, ayant à leur tête une femme illustre, la belle Mme Ristori, déjà bein connue de nous tous qui avons souvent Passé les monts, comme au temps de Brantôme, non pour nous guérir de l' ennui du Louvre, en tuant des Italiens, mais pour nous abreuver aux mamelles de cette Cybèle puissante qui a créé les plus grands génies de l'univers, Virgile, Dante, Michel-Ange, Raphaël et Rossini. Ils seront toujours les biensvenus, en terre de France, ces nobles enfants de l'Italie, soit qu'ils chantent dans la langue de Cimarosa, soit qu' ils parlent dans la langue d'Alfieri, soit qu'ils dansent dans la langue de Taglioni, soit qu'ils content dans la langue de Boccace, soit qu'ils rient dans la langue de Goldoni, soit qu' ils bâtissent dans la langue d'Arnolphe, soit qu'ils peignent dans la langue de Cimabuë le Florentin! Paris aura toujours pour eux des couronnes de fleurs; dans les plus froids de ses printemps et les plus tièdes de ses hivers. Aussi notre théâtre ultramontain avait mis sa 10be de fête pour recevoir «Francesca da Rimini»…

La tragédie de Silvio Pellico, qui servait de début à Mme Ristori, appartient a l'enfance naïve de l'art tragique;… … Il faut donc user de la même tolérance envers la tragédie étrangère. Le succès de «Francesca da Rimini» est dans une scène, mais cette scène infiniment plus riche en développements que le «tiens, lis,» et le distique sur les
[p. 341]
Gaulois, est admirable et a excité les transports de toute la salle. On a crié «bis», comme après un duo de «Semiramide»; on ne pouvait se lasser d'applaudir. Il est vrai de dire aussi que cette scène est une pièce complète.

Francesca, la femme de Lancilotto, aime en secret son beaufrère Paolo; elle veut le fuir pour rester fidèle à ses devoirs, et elle le rencontre dans son palais. Ces deux amours impossibles se croisent, se heurtent, se confondent, avec de lamentables expansions de tristesse et de désespoir. La plus belle musique, celle qui a noté l' «Il cuor mi si divide», ou le «Tu mi strappi l'anima», n'ajouterait rien à ce duo émouvant tel que nous l'avons entendu chanter l'autre soir, par Mme Ristori et M. Rossi. Le coeur, l'âme, les lèvres des deux artistes ont trouvé des notes, ont créé des sons, ont inventé des gammes pour exprimer toutes les douleurs et toutes les extases de l'amour. Parmi les auditeurs, ceux qui ne comprenaient pas la langue, et ils étaient nombreux, comprenaient cette musique de la nature passionnée, et trouvaient l'interprète au fond de leur coeur. Nous n'avons jamais entendu sur une scène française un pareil unisson de voix, et à coup sûr, ce n'est pas le talent d' exécution vocale qui manque à nos artistes de drame, c'est l'audace. Il y a, chez nous, une certaine façon de moduler la langue de la passion et de la tendresse, selon les sages principes du Conservatoire. Il y a une conjugaison du verbe «aimer», notée, avec une classique retenue, pour toutes les situations et tous les tempéraments. On autorise un feu de phosphore, à condition qu'il ne brûlera pas les planches; mais on défend le délire et on retient l'extase dans les justes bornes. Il y a eu des professeurs de soixante et quinze ans, qui chevrottaient une tirade d'amour, et disaient à leurs élèves:--aimez comme cela. Les Italiens ont le diable au corps: ils prennent leur soleil pour professeur; leur voix naturellement juste ne compromettra jamais l'accentuation la plus sfogata, et dans un duo de tendresse, ils se souviendront mieux de Flore et Zéphire que de Philémon et Baucis.
[p. 342]

Mais voici le plus grand effet de surprise de la soirée italienne. La tragédie terminée, Madame Ristori a quitté la poétique robe traditionnelle de la Francesca, et elle a reparu dans la comédie en toilette de 1855, mode parisienne. La grande artiste transpose son organe avec une facilité merveilleuse: elle chantait tout à l'heure la sombre mélopée du Dante; elle parle maintenant la langue vive et folle du salon moderne florentin. On joue les «Gelosi fortunati», charmante comédie de Giraud, un auteur justement célèbre de l'autre côté des monts. L'intrigue est simple comme la vie en ménage de deux jeunes mariés, en pleine lune de miel. Absence complète de charpente; il n'y a pas même le moindre Arthur, qui ouvre la porte au moment où on attend Oscar, ce qui produit toujours en France une certaine sensation, et prouve l'habileté scénique de l'auteur.

En Italie, le style a un intérête égoïste, et il ne veut pas s'égarer en pure perte dans le labyrinthe d'une situation. Giraud met en scène deux époux comme il y en a partout, et qui se querellent pour un petit cousin fantastique et une comtesse invisible, comme partout, et se raccommodent comme partout, au dénouement. Ce tête-à-tête conjugal est joué avec une verve méridionale inouïe, et un naturel que l'élément bourgeois ne gâte jamais. Tout cela est jeune, gracieux et frais comme un rayon d'avril dans la nymphée d'un jardin de la «Strada Colbi», tout cela est d'une ingénuité ravissante et d'un caprice adorable. Ce n'est pas joué, c'est vécu. La comédie court, vole, scintille, sans se donner une minute de trêve. Les yeux, les gestes, les figures, les mouvements des deux artistes parlent toutes les langues, ce qui n'est pas un avantage de médiocre à-propos, dans ce moment parisien de congrès universel. Le succès de la comédie a complété le succès de «Francesca». Madame Ristori a obtenu deux triomphes, sous les deux masques de Melpomène et de Thalie, comme on dit encore dans le classique pays des arts et du soleil.

Mery.
[p. 343]

Feulleton du Journal des Débats, 27 Mai 1855. Théâtre Itaiien

MADAME ADELAIDE RISTORI

La compagnie dramatique de S. M. le roi de Sardaigne a fait ses premiers débuts le mardi de cette semaine au Théâtre Italien, et comme nous tenons à nous montrer hospitaliers envers ces vrais et sincères artistes d'un mérite réel, le feuilleton, oubliant un instant son congé de la Pentecôte, annoncera du moins la célèbre tragi-comédienne Adelaïde Ristori, et ses dignes camarades Ernesto Rossi et Bellotti-Bon.

La nouvelle troupe italienne, en prose et en vers, se compose rigoureusement des comédiens indispensables dans une tragédie aussi bien que dans une comédie à quatre ou cinq personnages; l'amoureux, l'amoureuse, le père noble, la duègen, la grande coquette… et la compagnie est au complet. Je ne crois même pas qu'il y ait un traître, à peine un confident; l'art moderne italien a supprimé les confidents, et peut-être a-t-il eu tort… … Eh quoi! une tragédie en cinq actes à peine jouée, o misère! par trois hommes qui tournent incessamment autour d'une seule femme! est-ce possible? Est-ce vrai? Et ne faut-il pas que ces gens-là soient cruellement aveuglés sur leurs propres mérites, puisqu'ils s'imaginent nous intéresser avec si peu que cela?

A ce premier obstacle, ajoutez que ces infortunés comédiens ordinaires du roi de Sardaigne, avaient choisi justement une des salles les plus vastes et les plus difficiles à remplir que possède le Paris des puissants et des superbes, la salle même du Théâtre Italien!…

Cependant, contre toutes les prévisions, et d'assez bonne heure, la vaste salle du Théâtre Italien s'était remplie! Il
[p. 344]
y en a tant de ces braves gens à Paris pour qui c'est déjà une fête d'entendre l'accent maternel de la patrie absente et qui sont enchantés du seul bruit de ces grandes paroles! Que cela chante ou que cela pleure, il leur importe assez peu, pourvu que cela donne le sì, et que l'accent romain se mêle au parler toscan! A ces enfants de la grande et divine Italie il faut ajouter les parisiens de Paris, et quelques parisiens de la province, qui sont restés fidèles à la langue du Tasse et d'Arioste!… … Jugez cependant si l'anxiétè publique a redoublé lorsqu'à l'orchestre, vide et veuf de ses tonnerres mélodieux, nous avons vu venir une flûte essoufée, un violon jurant sur l'archet, et même, o ciel! une clarinette aveugle ou borgne, et ce joli quatuor clapotant une ouverture en ut mineur! On se regardait l'un l'autre avec un étonnement mêlé de pitié. Ça n'ira jamais, se disait-on; Ça n'est pas possible! il sont perdus! Une clarinette! un violon! une tragédie en cinq actes, en vers, une comédienne et trois comédiens! à vingt pas de l'Opéra-Comique et de l' «Étoile du Nord!»…

Ils jouaient donc une tragédie, et disons-le tout de suite, une lamentable et médiocre tragédie…

Mais telle est la toute-puissance et la force de la passion quand elle est vraie qu'au troisième acte, au moment où nous n'espérions plus q'un succès d'estime, aussitôt voilà la salle éveillée et réveillée en sursant qui se récrie au miracle. On écoute, on regarde, on pleure, on admire; on dirait une flamme électrique; tout d'un coup l'oeuvre marche, la tragédie est acceptée, et la tragédienne, qui tremblait, comprend enfin que ce public est accessible à ses douleurs. J'ai vu rarement se manifester d'une façon plus inattendue et plus soudaine l'enthousiasme public; on ne s'entendait pas le moins du monde; évidemment il y avait une muraille entre
[p. 345]
cette femme et le public; et voici que tout d'un coup tout est compris, le silence, la parole, le geste, le regard! On était une étrangère que le public bien élevé écoutait par politesse; aussitôt on devient une artiste acceptée, une grande artiste; chacun sait déjà votre nom, chacun subit votre charme et reconnait votre beauté! Déjà tout s'agite autour de cette grâce nouvelle et l'étonnement des uns, et le contentement des autres, et l'applaudissement de tous s'ajoutent à la poésie, à la curiosité, à l'intérêt! Ainsi le soleil a percé le nuage, ainsi le bruit a traversé le silence, ainsi les coeurs tranquilles se trouvent agités et satisfaits! Cette scène entre Paul et Françoise, cette scène d'amour, nous a tout à fait rappelé par son délire, et sa violence, et son accent, les récits de la passion que l'on rencontre dans les conteurs italiens, dans les histoires tragiques de Baccio Bandelli,…

Cette admirable Ristori est donc une vraie et sincère comédienne. Elle est grande, belle, élancée; elle a toutes les apparences d'une Romaine; sa tête est intelligente, hardie et calme; le feu même de son regard est contenu dans les justes bornes; sa voix est la voix la plus brillante et du plus beau timbre, un timbre, un timbre plein, sonore, éclatant et velouté tout ensemble; il n'y a pas au thèâtre en ce moment une voix plus belle et qui convienne davantage à exprimer les tendres passions, les douleurs tranquilles, les trépas résignés. La Ristori! on ne la compare ici à personne. A quoi bon en effet une comparaison impossible? Nous possédions naguère une tragédienne incomparable, l'Italie en possède une, et c'est pourquoi il ne faut pas comparer celle-ci à celle-là. Celle-ci est une Française de la maison de Corneille; celle-là est une Italienne de la famille d'Alfieri: l'une appartient à la tragédie, à l'histoire, au commandement, au règne; l'autre appartient à l'élégie, à l'intime douleur, aux gémissements, aux tendres soupirs. Celle-ci est faite pour monter au trône, pour toucher au sceptre et pour frapper du poignard; celle-là monte à l'échafaud ou vide la coupe empoisonnée; elle ne
[p. 346]
commande pas, elle obéit, elle ne se venge pas, elle a peur; elle n'est pas le bourreau qui tue, elle est la victime égorgée! Ici la colère, et là la pitié; de notre côté, la vengeance et la fièvre; au delà des Alpes, la tristesse et la langueur; chez la nôtre, tant de rages et tant d'expiations, une éclatante fureur; chez la belle Italienne, une si douce complainte, une couleur si résignée, et l'une et l'autre active, éloquente dans son jeu, dans ses discours, et triomphante enfin quand elle sent que son public est vaincu, la Ristori par sa tendresse, la Rachel par ses fureurs!

Ah! dans ces deux derniers actes de «Francesca da Rimini» comme on admire et comme on écoute!…

Même la façon dont est morte cette admirable Ristori, a semblé logique, naturelle et nouvelle! Elle ne meurt pas à la façon de Madame Rose Chéri, dans «Clarisse Harlowe», lorsque l'habile comédienne expire en se débattant contre cette mort impie; elle n'est pas morte à la façon de «la Dame aux Camélias», lorsque Madame Doche s'enveloppe, encore souriante et coquette, dans le linceul brodé de la courtisane amoureuse,

Derniers traits de son luxe à son dernier moment;
Elle n'est pas morte à la façon d'Adrienne Lecouvreur, se débattant contre le poison invisible, horrible et pathétique agonie, et toute semblable à un problème inexplicable… Elle est morte à la façon d'une infortunée à bout de souffrance, à bout de douleur, et qui n'est pas fâchée enfin d'échapper à tant de misères par ce trépas libérateur. Elle meurt, elle tombe, elle expire, et de sa belle main romaine elle ramène son blanc vêtement sur sa blessure, afin d'éviter l'aspect de son sang à ce père au désespoir! Elle expire, et le calme et la paix reparaissent sur ce beau visage; on dirait un long et virginal sommeil!

Une étrange distinction de cette femme-là (nos grandes coquettes de profession vont-elles assez crier au scandale, à l'impossible!), c'est qu'elle joue avec son beau visage un peu
[p. 847]
brun, mais net et paré de sa vie et de son charme, tel que l'a fait le créateur. C'est elle, et la voilà, et pour cette fois seulement vous pouvez vous vanter d'avoir vu sur le théâtre une créature véritable! Elle n'a pas un brin de poudre (est-ce croyable?) et pas un brin de blanc ou de carmin! Rien aux cheveux, rien aux sourcils; ses deux yeux même sont tout à fait deux diamants noirs qui brillent en brûlant, ou qui brûlent en brillant, sans le secours du charbon…

Elle a donc réussi complètement. On l'a applaudie avec des larmes, on l'a voulu revoir, on l'a rappelée, elle est revenue, et si contente elle était d'avoir échappé aux périls du parterre française! L'instant d'après, comme on ne l'attendait guère, elle a reparu, mais ma foi si leste et si vive, en petite robe du matin, et pas d'autre ornement que ses dents blanches qui sont bien à elle, tout autant que ses cheveux aile de corbeau! Elle jouait une comédie, un proverbe du comte Giraud, l'inventeur des proverbes.

… Ristori, dans ce rôle composé par elle, la chatterie et la câlinerie même de Jenny Vertpré, quand Jenny Vertpré n'avait pas trente ans et qu'elle s'abandonnait à ses câlineries armées de griffes. En un mot, cette heureuse Ristori (et l'on va voir si je lui fais un compliment) joue avec l'esprit, la grâce, l'attention, le naturel de Madame Allan elle-même;… elle est tout sourire, elle est tout badinage, et l'on ne croirait jamais, la retrouvant si vivante après cette agonie, que ce soit la même «Françoise de Rimini» que nous avons laissée étendue au cercueil!

Dans la comédie on a beaucoup aimé Bellotti-Bon, qui est un jeune premier léger, de bonne compagine et de bonne humeur. Les uns et les autres ils ont fait grandement leur devoir, et l'on peut dire à chacun d'eux comme à Figaro la belle Suzanne: “Tu viens de gagner ton procès!
[p. 348]

Et moi qui me disait ce matin: Bon! Belloti-Bon et la Ristori attendront bien une huitaine de jours! Nous sommes en un jour de chômâge, et le feuilleton est supprimé avec le lundi de la fête! Ainsi disant, je voulais tout au plus écrire une vingtaine de lignes pour annoncer cette élégie… Eh bien! j'avais compté sans ces bons et braves hôtes que l'Italie envoie à la France… Or que dit le proverbe? “Qui compte sans son hôte compte deux fois”.

Jules Janin.

Le Mousquetaire. Feuilleton du 25 Mai 1855

Théâtre Italien

Compagine dramatique du roi de Sardaigne--Françoise de Rimini, tragédie en 5 actes, par Silvio Pellico.

Constatons avant tout l'immense succès et le véritable talent de Madame Ristori.

Et cette fois, tout auteur dramatique que nous sommes, tout disposé que nous sommes, en cette qualité, à revendiquer notre part de succès dans les pièces que nous faisons représenter et à ne laisser aux acteurs que celle qui leur revient, nous commençons par louer l'artiste au détriment du poète.

Je ne sais si le succès de la «Francesca da Rimini» a été fait en Italie par le style de la pièce ou par le fond du sujet.

Si c'est par le fond du sujet, l'Italie n'est pas difficile.

Reste la question du style.

Quoique la langue italienne, la langue écrite surtout, nous soit familière à peu près à l'égal de la langue française, peut-être la hauteur et le charme poétique d'une tragédie nous échappent-ils. Avouons donc sur ce point notre insuffisance comme juge.
[p. 349]

Mais le succès de «Francesca da Rimini» n'est-il pas bien plutôt dans les malheurs politiques de son auteur que dans son talent théâtral?

Là est pour nous le mot de l'énigme.

Une courte analyse de l'ouvrage viendra à l'appui de notre pensée.

Tout le monde connaît les vers de Dante qui terminent le Chant V de l' Enfer:

Noi leggevamo un giorno per diletto…
En voici la traduction pour les personnes qui ne seraient pas familières avec la langue italienne:

“Nous lisions un jour par plaisir les aventures de Lancelto, et comment amour l'étreignait.

“Nous étions seuls et sans aucune défiance.

“Cette lecture fit que plusieurs fois nos yeux humides se cherchèrent et que notre visage se décolora.

“Mais un seul point fut celui qui nous vainquit.

“Quant nous vîmes le doux sourire de la maitresse cueilli par le baiser de l'amant, celui qui ne sera jamais séparé de moi baisa tout frissonnant mes lèvres!…

“Et ce jour-là, nous ne lûmes pas plus avant…”

Voilà le merveilleux passage de Dante, auquel Silvio Pellico a emprunté sa tragédie.

Voici la fable plus que simple du poète dramatique.

(Analyse de la pièce)


Produced by the University of Chicago Library.
Send questions or comments about IWW to ets@lib.uchicago.edu.
PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.