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Ricordi e studi artistici Torino: L. Roux, 1887 ARTICOLI CRITICI, GIUDIZI E POESIE SU ADELAIDE RISTORI
Samson. Probablement il n'y avait aucune corrélation entre l'arrivée de Me Ristori à Paris et les plans secrets de Mr de Cavour; mais Alfred de Musset se plut à considérer le voyage de cette grande actrice comme un présage du lien étroit qui devait unir la France et l'Italie. Son assiduité aux représentations de Mirra et de Marie Stuart fut telle, qu'à moins d'être malade ou alité, il n'en manqua pas une seule. Le buste de Me Ristori, par le sculpteur italien Lanzirotti, prit place dans son petit musée, sur un haut piédestal construit exprès, et, en s'amusant à jouer sur le nom, il appelait cette noble figure l'Italia ristorata. La poësie devait venir à son tour rendre hommage à la grande tragédienne étrangère. Alfred commença des stances, que, par malheur, il ne mit point sur le papier, ne les jugeant pas assez achevées. Voici tout ce que j'en ai pu retrouver, avec l'aide de la gouvernante, qui entendit réciter ces vers un par un, à mesure que le poëte les composait. Paul de Musset.
Alfred De Musset. Chère et illustre, j'ai été pour vous embrasser aujourd'hui sans pouvoir pénétrer jusqu' à vous; et vous, vous êtes venue chez moi pendant que j'étais au fond des forêts.
Mais que je vous voie ou non, j'ai les yeux, la tête et
l'âme toujours remplie de vous. Vous étes pour moi une révélation
nouvelle, une de ces deux ou trois expressions du beau
et du grand que l'on rencontre deux ou trois fois dans la
vie. Vous étes dans Rosmunda la divinité de la force et de
la vengeance, une de ces figures que les arts n'ont pu produire
que dans les plus grandes époques; et la nôtre paraît
si petite pour vous contenir et vous comprendre! Soit que
Pour mon compte, je m'incline avec toute l'admiration qui est due au génie, à la superbe créature aimée de Dieu, et avec toute la tendresse qu'inspire la femme aimable, bonne, simple, et aimante, que vous êtes. À vous donc, de tout mon coeur. Paris, 28 mars 1856. Georges Sand.
Ceux qui ont vu au Théâtre Français la première représentation
de la Rosmunda de C. M. Latours S'Hars, ont
vu le prologue de la Rosmunda de Alfieri.
Alboin, roi des Lombards, vainqueur et meurtrier de Cunimond,
force Rosmunda, sa fille, à boire dans le crâne de
son père. Rosmunda, exaspérée par cet acte de cruauté, détermine
Almachilde, son amant, à tuer Alboin, et Alboin
mort, s'enfuit à Ravenne avec son meurtrier.
Là des nouveaux sujets de mécontentements contre son
nouvel époux la déterminent à se débarrasser de lui, comme
elle a fait du premier, à fin d'épouser l'exarque Longin.
Mais Almachilde s'aperçoit à temps du projet de sa femme,
et la force à boire le poison préparé pour lui.
Voilà l'histoire ou à peu près.
Le premier des deux paragraphes se rapporte à la tragédie
de Mr Latours S' Hars, le second à celle de Alfieri.
Le 1er acte est composé de trois scènes:
1re scène--Rosmunda, fille de Cunimond tué par Alboin.
Il y a combat entre Almachilde et Clefis.
Romilde, fille d'Alboin, fait naturellement des voeux pour
ce Clefis ennemi de Rosmunda et Almachilde. Rosmunda pour
la punir des voeux qu'elle fait, lui annonce qu'elle a décidé
de la marier à Alaric.
Rosmunda ordonne à Romilde de sortir, et reste seule. Là
elle expose la vraie cause de sa crainte; son mari ne regarde
pas Romilde avec cet oeil de dédain dont l'assassin
regarde la fille de celui qu'il a assassiné. Rosmunda est
jalouse.
Almachilde--Je vous le jure par cette épée, et par
Ildovalde. Rosmunda m'entendra.
Elle renouvelle l'expression de sa volonté devant les deux
hommes. Romilde partira le lendemain; si elle ne part point
de bonne volonté, le chef de l'escorte l'entraînera de force.
Après avoir été magnifique en interrogeant, Madame Ristori
devient magnifique en écoutant. C'est un mirori que ce beau
visage qui laisse transparaître l'âme, et qui laisse voir chaque
La scène continue d'être splendide, de reproches, de mépris,
de dédains; cette banale phraséologie tragique, se transforme
en phrases ardentes, douloureuses, échappées du coeur.
Enfin Almachilde sort en jurant qu'il protégera Romilde,
même contre Rosmunda, et Rosmunda reste seule.
“Ah! s'écrie celle-ci, tu as donc cru que je t'aimais! Oh,
je ne t'aime pas et tu le verras bien; fureur, haine, jalousie,
rage, dédain, superbe, affection impure, sortez tous de mon
âme; reviens seule oh vengeance, viens et remplis-mois toute
entière de ton nom; si je t'ai eu toujours pour précieuse et
pour seule divinité”.
Il faut avoir entendu ces paroles sortir de la bouche de
la grande artiste, pour avoir l'idée du degré auquel peut
atteindre une langue humanie.
Toute la salle pour la troisième ou quatrième fois éclata
en applaudissements, les bouquets ont commencé de pleuvoir.
A partir de ce moment le génie de l'auteur nous arrache
des mains la plume du critique; que vous importe, de qui
est la pièce que joue cette terribile Rosmunda? C'est une femme
furieuse, c'est une tigresse jalouse, c'est une lionne qui a
une rivale, elle se vengera en lionne, en tigrese, en femme;
à un moment donnè elle mettra la main, la griffe, l'ongle,
sur Romilde, elle l'emportera en la secouant entre les dents;
puis quand elle sera arrivée là où ne peuvent l'atteindre ni
l'amant, ni le mari, elle les raillera tous deux, le poignard
sur la poitrine de l'enfant, et en même temps que la raillerie
sanglante s'enfoncera dans le coeur des deux hommes,
l'implacable poignard pénétrera dans la poitrine de sa rivale,
qui n'en aura pas moins d'opposer d'autre résistance, que
celle de quelques cris faibles et entre-coupés.
Nous ne dirons pas: Jamais Madame Ristori n'a été plus
belle, n'a été plus grande, plus pathétique. Madame Ristori
Oh encore dans Shakspeare, dans le poète humain, dans
le maître immortel, cela se comprend, son génie soutient
l'acteur.
Mais que ferait donc celle qui tire un monde du néant,
si on lui donnait un monde tout-fait?
Elle le dédaignerait. Qu'a-t-elle besoin du Génie de l'auteur,
cette femme qui crée de son propre génie; et pourquoi
accepterait-elle le monde des autres, elle, qui peut se faire
un monde?
Et maintenant expliquez une chose inexplicable, c'est comme
dans ce rôle odieux, colérique, insensé, dans cette mégère,
dans cette furie, dans cette Tisiphone; expliquez comment là,
où tant autre ferait horreur, Madame Ristori reste sympathique.
C'est que chez la grande Artiste tout vient du coeur. C'est
qu'elle montre combien elle souffre, avant de montrer comment
elle se venge; c'est qu'on est forcé de pardonner un
grand crîme à la suprème douleur.
Au milieu des cris de brava, des applaudissements, des
hurras, des bouquets, et des coeurs qu'on jette à Madame
Ristori, prenons un simple fleur, une violette, une marguerite,
un myosotis, et offrons-le à la charmante enfant qui
joue Romilde.
L'oiseau dans la serre de l'aigle, la gazelle dans la griffe
du tigre ne palpite pas plus gracieusement et plus douloureusement
à la foi qu'elle n'a fait sous le poignard de Rosmunda,
sous le regard de Madame Ristori.
A. Dumas.
Divine femme, j'ai tant pleuré d'admiration, d'effroi, de
pitié et d'enthousiasme, qu'en rentrant chez-moi, je ne peux
rien vous dire, si non que je suis brisée.
Mais ces émotions-là font du bien, et laissent dans l'âme
une force et une foi. Vous êtes adorable et sublime; on se
sent plus fort et plus vivant quand on vous a comprise.
Je sais qu'une douleur de famille est tombée sur vous à
la veille de ce nouveau triomphe.
Croyez que je compatis bien à ce déchirement de votre
belle âme que la gloire n'enivre pas.
A vous de toute la mienne.
Paris, 9 avril 1856.
Georges Sand.
C. Marenco.
pour témoigner à Madame Ristori toute son admiration, et
la remercier de tout le plaisir qu'il a éprouvé hier soir.
Paris, 23 mai 1855.
Dimanche 9, rue Vendôme, n. 8.
Madame,
J'aurais bien à coeur de vous remercier de votre bonne et
charmante visite avec le tant aimable Mr Del Grillo; je voulais
vivement vous dire tous les regrets de ma femme, qui
dans son émotion en vous voyant, craint de ne pas vous
avoir reçue.
J'avais à coeur de vous applaudir une dernière fois cette
année, et enfin de vous demander le baiser d'adieu, en vous
priant d'agréer mes souhaits sincères pour l'heureux voyage
et un heureux retour.
J'ai donc voulu profiter de votre bonne invitation en me
rendant à votre loge hier au soir… mais j'ai été arrêté par
la concierge, qui m'a dit d'avoir des ordres formels.
Il m'a montré une liste des personnes à laisser passer;
je n'étais pas sur cette liste, et l'on a pas même voulu vous
faire remettre ma carte, qui au moins, Madame, vous eût
dit que je n'avais pas manqué de venir.
Aujourd'hui, Madame, vous devez appartenir toute à votre
famille et à vos préparatifs de départ; nous n'auront donc
pas l'indiscrétion d'aller vous déranger quelque vif désir que
nous ayons de vous voir encore une fois… et ce sera cette
lettre qui vous portera nos regrets et nos adieux.
Mais c'est au revoir, Madame, qu'on peut vous dire; et si
l'hiver nous semble cette année plus long qu'à l'ordinaire,
le printemps aussi nous paraîtra plus beau, puisque avec les
fleurs, et les hirondelles, les doux rayons, il nous ramènera
la grande, et belle, et bonne, et chère Ristori.
Partez donc, chère Madame, puisque vous devez revenir,
et que toutes les générosités de Dieu accompagnent partout
votre douce et charmante famille. Que le bonheur vous suive,
si la gloire vous précède!
… Gloire et bonheur, c'est plus que Dieu ne donne
d'habitude, même à ses bien aimés, mais il peut bien faire
exception pour vous, et ainsi fera-t-il.
Au revoir, chère, grande Artiste, noble femme, véritable
mère… Si quelquefois entre des triomphes, aux heures du
coin du feu, une parole, un incident, un rien, vous fait penser
un moment à notre petit ménage, où l'on s'aime comme chez
vous; où l'on aime bien l'art comme chez vous; où il manque,
hélas, les chers bambini, qui fleurissent chez vous…
dites-vous, chère Madame, que nous pensons à vous, croyez
bien que dans cet immense Paris, qui vous a comprise, aimée,
acclamée, il n'est beaucoup de coeurs qui vous aient comprise
plus soudainement, acclamée plus sincèrement, aimée d'un
sentiment meilleur!… Votre retour sera un événement pour
Paris, ce sera une fête pour nos deux coeurs.
Adieu, Madame! voyage heureux. Heureuse santé. Beaux
triomphes.
Restez, comme dit le poète allemande:
«Dans la main de Dieu»
(PS.) Avez-vous reçu, Madame, mon volume de contes:
La Buche de Noël, pour lire un jour à vos enfants?
26 juin 1855, rue Vendôme, n. 8.
Madame,
Je voudrais être le plus grand poëte du monde pour vous
offrir des oeuvres dignes de vous, et aussi pour offrir des
rôles à la plus grande comédienne du monde, pour moi, à
vous… Je ne suis que l'humble auteur de quelques vers, d'un
peu de prose, et de quelques comédies. Voulez-vous me faire
la joie et l'honneur d'accepter la dernière que j'ai fait jouer
au Théêtre Français? Vous me rendrez bien heureux.
Ma femme a été sensible bien vivement à vos bonnes paroles
d'hier que je lui ai redites. Elle sera bien heureuse
Mes cordialités les plus vives et les plus affectueuses, je
vous en prie, Madame, à Monsieur votre mari, qui, si vous
êtes en ce moment la plus grande comédienne du monde,
est certes l'homme du monde le plus heureux.
A ce soir, Madame, sur le champ de bataille, je veux dire
à l'autel du triomphe.
Veuillez bien me croire, je vous en prie, Madame, le plus
dévoué, et le plus fervent de vos admirateurs.
Edouard Plouvier.
Lamartine.
Guiseppe Montanelli.
Torino, 20 aprile 1861.
Cara Signora Marchesa,
Le sono gratissimo dell'interessante lettera ch'ella mi scrisse
ritornando da Pietroburgo. Se ella non ha convertito il Principe
Gorschacoff, convien dire ch'esso sia un peccatore impenitente,
giacchè gli argomenti ch'Ella seppe con tanta abilità
adoperare per sostegno della nostra causa, mi paiono
irresistibili. Ma mi lusingo che se il Principe non volle in
sua presenza mostrarsi ricreduto, le sue parole avranno lasciato
nell'animo suo un germe che si svilupperà, e darà
buoni frutti.
Continui a Parigi il patriottico Suo apostolato. Ella deve
trovarsi in mezzo ad eretici da convertire, giacchè mi si assicura
essere la plebe dei saloni a noi molto ostile. È di
moda ora in Francia, l'essere papista, e l'esserlo tanto più
che si crede meno ai principii che il Papato rappresenta. Ma
come tutto ciò che è moda, e non riposa sul vero, questi
pregiudizi non dureranno, massime se le persone le quali,
come lei posseggono a grado eminente il dominio di commuovere,
predicheranno la verità in mezzo a quella società che,
ad onta di molti difetti, più d'ogni altra sa apprezzare il
genio e la virtù.
Mi congratulo dello splendido successo ch'Ella ha ottenuto
sulle scene francesi. Questo nuovo trionfo le dà un'autorità
irresistibile sul pubblico di Parigi, che deve esserle gratissimo
del servizio ch'Ella rende all'arte francese. Se ne serva,
di questa autorità, a pro della nostra patria; ed io applaudirò
in Lei non solo la prima artista d' Europa, ma il più
efficace cooperatore nei negozi diplomatici.
Mi voglia bene e mi creda
Suo Dev. mo: C. Cavour.
alla gentilissima signora
CORPI VOLONTARI ITALIANI Storo, li 16 luglio 1866.
Gentile Signora,
Ricevo lettera del dott. Riboli, che mi mette a conoscenza
di quanto fate per i nostri Volonatri.
Io, in nome loro, vi significo tutta la riconoscenza che si
può sentire per un'Italiana come Voi, che al cuore ed alla
gloria di Artista, aggiungete quella di Patriotta.
Credetemi
Dev. mo Vostro: G. Garibaldi.
Egregia Signora,
Avendomi scritto Cecchino le peripezie letterarie e le fortune
artistiche della mia Elisabetta, e siccome di queste fortune
vado a Lei debitore, così soddisfo ad un bisogno del
cuore, esternandole i sensi della mia grande stima e riconoscenza.
Io la ringrazio per aver stesa la mano potente alla
mia Regina Vergine, messa alla porta del teatro Carignano,
e per averla ricondotta bella e trionfante sul palco. Mi auguro
sempre delle Commissioni letterarie che mi atterrino; e delle
Ristori che mi rialzino siffattamente. Così, se alla mia Elisabetta,
nata fra le afflizioni del cuore, mancheranno tutti i
pregi, nessuno le negherà quello di aver inspirata una grande
Artista.
Ed io pure troverei nuove e forti inspirazioni, se avessi
la fortuna di scrivere ancora per la R. Compagnia; ma ho
cessato quando sarebbe stato bello il cominciare.
Intanto, siccome nessun sentimento è più puro di quello che
Dell'Egregia Signoria Vostra
Ammiratore e Servo Dev. mo
Paolo Giacometti.
All'insigne attrice italiana
Illustre Signora,
Non saprei ben dirle chiaro il come o il perchè; ma forse
il pensiero che il degnissimo signor marchese di Lei marito
ha una lettera da rimettermi; e quell'arcano e curioso legame
che pur c'è tra i cervelli e le gambe degli uomini,
mi trassero ieri al teatro, dal quale me n' ero, or sono tre
anni, volontariamente sequestrato, per tedio e stanchezza di
prediche e di predicanti. Or bene, la Ristori mi era perfettamente
sconosciata, se non per la gran fama che circonda
il suo nome; e son costretto di protestarle che io provai a
sentirla, quella infinita commozione che ho provata sette anni
fa, alla lettura d'un libro, che non avevo mai letto: La vita
di Plutarco.
Sono pure incauti gli uomini che si divorano in breve
spazio di tempo tutte le sublimi gioie e le profonde bellezze
dell'intelletto e dell'anima.
Ieri sera io non ho saputo desiderare se non che il mio povero
Marenco fosse tornato un istante nel mondo a rivedere
i suoi flgliuoli e questa sua Pia; chè gli sarebbe stata ben
compensata la momentanea sua fuga dal paradiso.
Ma è da sperare, anzi da credere, che le voci e i gemiti
dell'arte vera, sieno così onnipotenti da salir lassù in quel
Me Le protesto pieno di sincera e riverente ammirazione
Di casa, 18 febbraio 1853.
G. Di Prati.
(Motto intorno alla medaglia offerta alla Ristori dai Parmensi)
Parma, 27 ottobre 1848.
Jacopo Sanvitale.
Rachel, m'avait tué! Qui m'a fait vivre?… Toi!
Legouvè
En Medea y en Maria Estuardo, en Camma y en Pia,
en Mirha y en la Locandiera, os encuentro grande, admirable,
sin rival. Quereis saber cuando me pareceis mas digna
de admiracion. Pues bien; os admiro siempre mas la ultima
vez que os veo y tengo el placer de oiros.
Madrid, 8 de octubre de 1857.
El Capitan General J. Martinez de la Rosa.
Legouvé.
On a vu de grands artistes assembler peu à peu, par une
reflexion savante, les parties décomposées d'un caractère que
leur analyse amenait enfin à l'unité et à l'harmonie, et que
leur talent exprimait avec une vérité lentement conquise;
c'est une très-belle oeuvre de l'intelligence humaine; c'est la
science de l'art, pour ainsi dire; mais ce n'est pas la poésie
Une des plus grandes joies qui pouvaient nous être données
a été de nous trouver en présence de cet idéal réalisé,
lorsque l'artiste qui nous avait déjà montré avec une grandeur
si chaste et si tragique tour à tour, l'âme humaine aux
prises soit avec la fatalité du théâtre grec, soit avec ses
passions et celles d'àutrui lorsque cette artiste d'un seul élan
de son coeur a ressaisi un antique idéal qui avait coûté des
années d'études et de méditations à la philosophie et à l'histoire.
Des ombres de la Gaule qu'on évoquait du fond des
siècles, elle en a refait des êtres vivants; elle nous a donné
non l'image, mais la noble réalité, elle a imposé à une génération
sceptique l'admiration d'un drame où l'action est comme
suspendue entre le ciel et la terre, et où la vie actuelle, la
vie future, ne font qu'une. Elle a fait resplendir sur notre
scène le spectacle le plus religieux dont le théâtre d'aucune
nation ait jamais été témoin, en nous montrant de toute la
sublimité de son extase, cette mort joyeuse des Gaulois; cette
délivrance de la mort qui stupéfiait les Grecs et les Romains.
Une certaine douceur chrétienne en attendrissant le sauvage
héroïsme de cet élan vers l'immortalité, complète ce
tableau qu'on peut résumer en quelques mots: «rien sur la
scène depuis notre Corneille, n'a donné une impression si
propre à élever l'âme humaine».
14 mai 1857.
Henry Martin.
Alfred de Vigny.
L'immense succès obtenu hier par Mme Ristori, dans le
rôle de «Myrra,» fait que, désireux d'enregistrer le premier
ce succès, le «Mousquetaire» substitute aujourd'hui
aux «Mohicans» le «rendu compte de la représentation
d'hier».
Alfieri ne s'est point occupé de la légende; Myrrha, chez
lui, ne consomme pas l'inceste. Les cinq actes sont une lutte
contre sa passion, un combat contre elle-même, et la minute
qui entend l'aveu qu'elle fait de son amour à son père voit
en même temps sa mort.
Suivons le développement de l'ouvrage et donnons-en l'analyse;
ce ne sera pas long et surtout cela sera facile. (Ici
tout le sujet des trois actes est raconté).
C'est toujours la même scène. Myrrha dit qu'elle est h eureuse,
mais Euriclea ne s' y trompe pas. Ceux qui aiment
cette scène-là doivent être bien contents.
Peréo accourt tout joyeux; c'est la même scène qu'au second
acte: elle répète à Peréo qu'elle l'aime, et cet aveu,
qu'elle lui fait chaque fois qu' elle le voit, le comble d'une
joie immense.
Alors entrent les pontifes, les choeurs d'enfants, de jeunes
filles, de vieillards.
Ciniro s'écrie:
--Peuples, etc., etc.,
L'heure du mariage est arrivée.
Chacun se met à genoux.
Oh! regardez bien Mme Ristori, et ne la perdez plus de
vue, car vous ne verrez jamais rien de pareil à la scène qui
va suivre.
Sa nourrice est près d'elle.
Le choeur chante.
La figure de Myrrha se décompose: elle pâlit, son front
se couvre de sueur.
Remarquez que c'est réel.
Par quel artifice d'art ou de coeur l'artiste en arrive-t-elle là?
Je n'en sais rien.
Euriclea ne perd pas un mouvement de cette admirable
physionomie.
--Ma fille, qu' as-tu?… tu trembles… ciel!
--Tais-toi, tais-toi.
--Pourtant?
--Non, ce n'est pas vrai, je ne tremble pas.
Le choeur reprend.
C'est Cécri à son tour qui s'aperçoit du trouble de sa fille.
--Mais quoi! tu changes de visage! Malheur à moi! tu
trembles et tu te tiens à peine sur tes pieds.
--Ah! par pitié, n'ébranle pas mon courage par tes
paroles!…
--Je ne sais si mon visage… mais mon coeur et mon
esprit demeurent fermes et immuables.
--Je me sens mourir dit Euriclea.
Le choeur reprend.
--Que dites-vous? s'écrie Myrrha. Déjà dans mon coeur…
déjà je sens les redoutables furies… les voilà… elles m'environnent,
secouant leurs fouets de vipères et leurs lugubres
flambeaux… Ce sont là les flammes que mérite un pareil
hyménée.
--O ciel! qu' entends-je? dit Ciniro.
--Ma fille! malheur! tu es folle! s'écrie Cécri.
--O mariage nefaste! il n'aura jamais lieu, murmure Peréo.
Les chants s'interrompent.
--Mais quoi! dit Myrrha, les hymnes se taisent? Qui me
serre dans ses bras?… Oú suis-je?… Qu' ai-je dit?… Suis-je
déjà épouse?… Malheur!
Oh! et quand on pense qu' il y a un Conservatoire pour
lequel on dépense je ne sais combien par an, un million
peut-être, quand il serait si simple de dire a toute femme
qui se destine au théâtre: Nous supprimous les classes; allez
voir Mme Ristori: voilà des billets.
Nous l'avouons, quand la toile est tombée après ce quatrième
acte, où, pour la seconde fois, Mme Ristori était rappelée,
nos yeux ont cherché dans toute la salle pour y chercher
tout ce qu' il y a de femmes artistes à Paris.
Pas une.
Mais que faisiez-vous donc, vous qui vous intitulez reines
de l'art?--je ne parle pas de celles qui jouaient ce soir-là
et qui ne pouvaient pas venir--que faisiez-vous pour ne
pas être dans cette salle qui éclatait sous les applaudissements
et les bravos? savez-vous ce que vous eussiez vu?
Vous eussiez tout simplement vu une femme poétique
Oh! mesdames, mesdames, vous aviez bien affaire, à ce
qu'il parait, hier soir?
Mais pensez donc que cette femme, autour de laquelle on
devrait bâtir une muraille d'or pour qu'elle ne quittât point
Paris, on ne donnera pas cinquante mille francs pour la
retenir. Pensez donc qu'elle ne fait que passer, qu' un jour
elle s'en ira, et que vous serez mortes, toutes--depuis la
première jusqu' à la dernière--avant qu' il en vienne une
pareille.
Je n' ai pas le courage de continuer cette analyse. Le
cinquième acte n'est qu'une scène entre le père et la fille,
toujours la même scène. Le pauvre Peréo s'est tué de désespoir.
C' était ce qu'il avait de mieux à faire devant le
«Sphinx» incesteux dont il ne pouvait deviner l'énigme.
Mais Ciniro a résolu d'en finir. Il presse Myrrha de manière
à ce qu'elle n'échappe pas à cet interrogatorie terrible.
Trois fois la fille impie veut fuir; trois fois, au moment où
elle va disparaître, la voix de son père la retient, et elle
revient en scène, et elle se rapproche de lui, et toutes les
tortures de l' amour, tous les remords du crime sont en elle.
D'ailleurs, ce n'est plus une femme: le corps est assoupli,
allangui, brisé; c'est une vague qui roule, c'est une écharpe
qui flotte, c'est une couleuvre qui rampe.
Ah! Rachel, Rachel, vous qui, après avoir récolté des
millions en Russie, allez récolter des millions en Amérique,
venez voir comment cette fille, enviant le sort de sa mère, dit:
Etudiez cela, Rachel, tâchez, aux qualités que vous avez,
de joindre le quart des qualités que possède Mme Ristori; et,
belle Danaé, que la pluie d'or tombe sur vous, nous dirons:
«c'est justice!»
Et quand on pense qu'il n'y a rien dans cette tragédie
de «Myrrha», qu' un style magnifique, disent les Alfiéristes,
mais pas une indication; que cette femme, que cette
artiste, que ce génie a trouvé, inventé, découvert tout cela.
Mais accourez donc, statuaires, accourez donc, peintres,
prenez tout ce qu'elle vous donne; jamais pareil modèle ne
posera pour vos tableaux et pour vos statues.
Après la chûte du rideau; chose inouïe en France, Mme
Ristori a été rappelée trois fois.
Il est vrai que je suis à moi seul coupable de la troisième,
mais la salle, avec qui je persistais à applaudir, s'est promptement
et chaleureusement réunie à moi!
Ah! voilà l'art vivant que j'appelais, que j'invoquais, que
j'adjurais.
Il est venu.
Mais il est venu parlant la langue de Dante, de Pétrarque
et de l'Arioste.
Etudiez-le donc, au nom du ciel, vous qui parlez la langue
de Corneille, de Racine et de Victor Hugo.
Oh! si Mme Ristori jouait «Marion de Lorme», vous
verriez quel chef d'oeuvre c'est «Marion de Lorme».
Mais elle joue «Myrrha».
Il faut rejouer «Myrrha», Madame, et si mes confrères
les journalistes vous rendent le quart de la justice qui vous
est due, je vous réponds que Tout Paris y sera.
Alex. Dumas.
Nous pensions dans notre dernier article avoir donné à la
Ristori les éloges qu'elle méritait, mais nous ne la connaissions
réellement pas: la «Françoise de Rimini» ne pouvait
nous faire soupçonner la «Myrrha»; elle y est de la plus
haute sublimité--Jamais tragédienne n'a excité un pareil
enthousiasme, et trois rappels successifs ont à peine suffi à
exprimer l'admiration frénétique de la salle.
La tragédie d' Alfieri, dans le genre sobre, rigide et nu
qu'il s'était imposé, est un véritable chef d' oeuvre. Figurez-vous
un temple du dorique le plus austère,--plutôt le temple de
Neptune à Pestum que le Parthénon,--lourdes colonnes
d'un bloc, aux cannetures sèches, au chapiteau primitif, architrave
á triglyphes sans métopes, fronton triangulaire dénué
de sculptures, un art d'un grandiose aride et d'une perfection
triste.--Certes, celui qui a élevé un pareil monument est
un grand architecte, quoiqu' il ne soit peut-être pas agréable
Chacun sait, pour l' avoir lue dans Ovide, l' histoire de
Myrrha. Un tel sujet dépasse en hardiesse les fureurs de
Phèdre, et nous ne croyons pas qu'un poète français eût osé
l'aborder: l'amour incestueux d'une fille pour son père révolte
les délicatesses de l'âme; mais avec quel art profond, quelle
maëstria suprême Alfieri en a suspendu l'aveu pendant cinq
actes!
On ne saurait rêver rien de plus tragique que la Ristori,
dans ce rôle qui tient toute la pièce.--Quelle pâleur fatale,
quel accablement, quelle prostration, quels sanglots étouffés,
quels pleurs contenus, quelles luttes de la passion et du devoir,
quelles brûlantes insomnies, quels désespoirs farouches,
quelle honte et quelle horreur d'elle-même, quelle soif de la
mort libératrice et purifiante.--Comme elle varie ses inflexions,
ses soupirs, ses attitudes!--C'est une statue antique,
mais d' un marbre qui brûle et qui souffre; poursuivie par
les furies de l'amour incestueux, oppressé par un horrible
secret qu'elle ne trahit même pas en monologue, avec quelle
inexprimable joie après ces mots: «Oh! bien heureuse ma
mère!» rapide aveu aussitôt puni, elle rejette cette vie
impossible, et enfonce le glaive paternel dans ce sein désormais
délivré de l' impur mystère!
M. Rossi, le Paolo de «Francesca da Rimini», joue avec
une intelligence poétique le rôle de Cyniro, le père de la
malhereuse Myrrha; M. Boccomini a su être noble, intéressant
et pathétique dans le personnage sacrifié de «Peréo»,
le jeune prince que Myrrha doit épouser et qu' elle rejette
après l'avoir accepté, ne pouvant se résoudre à quitter son
père.--L'Euriclea, (Enone honnête de cette tragédie incestueuse,
est très-bien exprimée par Mme Righetti; Mme Borghi
a de la tendresse et des entrailles, comme on dit en style
de théâtre, dans le rôle de Cécri, la mère de Myrrha.
“Myrrha” fera courir tout Paris--selon la phrase
consacrée.--Il n' y a pas besoin de savoir l' italien pour
Théphile Gauthier.
La fable de Myrrha est un des groupes les plus tragiques
du musée secret de l'antiquité. Myrrha, fille de Cynire, roi
de Cypre, devient amoureuse de son père. Elle profite du
dèsordre des fêtes de Cérès pour se glisser dans le lit nuptial.
Cynire, au reveil, reconnaît sa fille, et la chasse de son
royaume en la maudissant. Elle fuit jusqu'en Arabie, où la
pitié des Dieux la change en un arbre qui porte son nom.
Il ne fallait rien moins qu'Alfieri pour traiter un sujet
pareil. Lui même raconte, dans ses «Mémoires», qu' il désespéra
longtemps d'y réussir.
De toutes les tragédies d'Alfieri, «Myrrha» est peut-être
celle qui résume le mieux son génie aride et sublime, comme
cette campagne de Rome qu'il parcourait de son galop de
centaure. Ce n'est pas un peintre, mais quel statuaire! Il
ne colore pas, mais comme il creuse! Chaque fois que j'ouvre
une tragédie d'Alfieri, il me semble entrer sous un grand
portique coupé d' ombres frigides et de grandes bandes de
chaleur. Là, tout est marbre, symétrie, solitude, effet de
proportions, majesté de lignes: des plafonds unis, un
parvis de dalles, des colonnes d'ordre dorien, sous lesquels
se promènent d'austères personnages sculptés dans des draperies
sans franges et dans des manteaux à plis raides. N'y
cherchez aucun des détails et des ornements de la vie: le
couteau des sacrifices grecs, l'épée des suicides romains, la
coupe de bronze où la mort fermente, meublent seuls cette
enceinte spartiate où l'air lui-même semble raréfié.
Les personnages, réduits au nombre strict, s' accostent et
se groupent avec une gravité lapidaire; une file, jamais de
foule; peu de mouvements, des attitudes, mais rares, frapantes,
extraordinaires, prises dans le marbre d'une fixité
qui impose: des âmes enfin plutôt que des hommes; des âmes
abstraites, nues, grandioses, dépouillées des formes périssables
du temps et de la chair, qui s' aiment, se haïent, et
s'apostrophent… à distance. Telles ces soucieuses figures de
Michel-Ange, disséquées plutôt que peintes sur le fond neutre
de la fresque, qui, d' un pendentif à l' autre, ont l'air de
poursuivre un entretien solennel, au fond duquel un drame
terrible est en jeu.
Mais quelle vigueur dans cette nudité! quelle complication
de muscles et de nerfs accusent ces «écorchés» tragiques!
quelle force de structure et de caractère!…
Donc, rien d'extérieur dans «Myrrha»; l'horrible passion
qu'elle recèle y couve à l'état de feu latent: on marche sur
un sol calciné, mais il brûle en secret jusqu'au dénouement.
L'unique effet des trois premiers actes est dans l'obscure
mélancolie de la jeune fille que ni son père Cynire, ni sa
mère Cécris, ni son fiancé Peréo, ni sa nourrice Euryclée ne
peuvent éclaicir. A leurs caresses, à leurs prières, à leurs
questions suppliantes, elle ne répond que par des plaintes
vagues, sourdes, inarticulées. Une divinité la poursuit… la
paix a fui de son coeur… des songes affreux agitent son
sommeil… Peréo craint de lui être odieux, il lui offre de
renoncer à sa main et de rompre un mariage qu'elle déteste
peut-être. Elle refuse; bien plus, elle le conjure de presser
l' heure de l' hymen: mais qu'il l'emmène bien vite loin de
Cypre, en Epire;… et lorsque son père lui demande le motif
de ce subit projet de départ, elle retombe dans des prostrations
entrecoupées de mots évasifs; puis elle maudit Vénus,
atteste les dieux, et se jette dans les bras d'Euryclée, en lui
demandant la mort.
Au quatrième acte, la situation éclate sans lumière; le coup
de foudre précède l'éclair. L'encens brûle, les flammes s'allument.
Peréo conduit Myrrha à l'autel; le pontife invoque
sur les époux le sourire et la faveur de Vénus. Tout d'un
coup, Myrrha pâlit, chancelle et tombe à la renverse sur le
sein d'Euryclée. Son visage s'égare, sa bouche écume, son
geste repousse les furies dont elle entend siffler les cheveux.
«Suis-je déjà épouse?» demande-t-elle avec un frisson
d'horreur.
«Son io già sposa? Ohimè!…» Cécris accourt pour la
relever; alors un terrible accès de jalousie la saisit; de sinistres
paroles échappent à son délire». O ma mère! s' écriet-elle,
tu es la première, la seule, l'éternelle cause de tous
mes maux!»
Le dénouement n'a qu'une scène, un groupe, un dialogue,
le père et la fille; et l'oppression de l'attente est telle, que
le rapprochement seul de ces deux personnages, ainsi isolés
sur le point culminant de la tragédie, fait frémir la salle.
Myrrha arrive, défaite, accablée; Cynire s'arme pour l'interroger
de la majesté du roi et de l'autorité du père; il veut
savoir le motif de ce désespoir insensé, de ces noces rompues,
de cet affront fait à Peréo, qui vient de se tuer de
douleur. L'amour seul peut inspirer de pareils délires: quel
est cet amour? Quel qu'il soit, il l'excuse, il l'approuve, il
est prêt à lui donner celui qu'elle désire. Myrrha veut feindre
encore; mais les questions se succèdent pressantes, résolues,
impérieuses; elles l'acculent au tombeau, où il ne lui reste
plus qu'à se cacher après la honte de l'aveu. Ainsi vouée
et résolue à la mort, elle parle, ou plutôt elle râle comme
d'une voix déjà égorgée. Cynire l'a menacée de l'abandonner:
Que d' art il a fallu pour soutenir le crescendo de ce
mystère, qui va de scène en scène, s'enflant et se grossissant,
jusqu' à ce qu' il crève sous la pointe de l' épée, et que
l'aveu s'en échappe dans un flot de sang! Un seule situation;
mais qu'elle est tendue, serrée et poignante!…
J'ai dit la tragédie, elle a la beauté de ce temple nu où
Sparte adorait la Peur. Comment dire l'admirable actrice qui
la remplit de génie? Demandez-le à cet auditoire exalté, ravi,
énivré, auquel elle a fait verser les plus belles, les plus nobles
larmes que la muse tragique ait jamais fait couler. Dans
les premiers actes, elle reste voilée et renfermée en elle-même;
mais quelle divine pudeur elle donne à ce clair obscur! avec
quelle réserve frémissante elle répond à la tendresse de son
père! quelle émotion contenue! quelle flamme subitement
glacée par le frisson du remords! Et ces attitudes! du marbre
ému, de la sculpture qui palpit! Il y a un moment où elle
cache sa tête dans le sein de sa nourrice, et la tient longuement
embrassée; non, aucune expression ne peut rendre
la piété filiale de cette noble étreinte. Imaginez Psyché, l'Ame
embrassant la Vieillesse, et la transfigurant au contact de
son immortelle beauté.
Au quatrième acte, dans la scène de noces, Mme Ristori a
Au dénouement, elle grandit encore. Il n'y a plus rien
après cela dans l'art, dans la vérité, dans la nature. Il faut
la voir polyée, frémissante, fascinée sous le regard de son
père, s'éloigner de lui en frissonnant d'épouvante, puis revenir
tomber dans ses bras ouverts, comme par la chûte d'une
magnétique attraction, et se dégager de son étreinte, et se
rapprocher encore; lutte déchirante entre l'âme, qui a honte
et qui voudrait s'enfuir, et le corps qui revient machinal,
instinctif, avide!
Elle est morte admirablement, avec une grâce, une douceur,
une poésie ineffable. Elle tombe en ramenant sur le sang de
sa blessure un pan de sa robe, et vous croiriez voir tomber
une vierge martyre. Lorsque sa mère interroge Cynire sur
son suicide et qu'elle s'aperçoit qu'il va tout lui dire, elle
a un geste pour le supplier de se taire, un élan de pudeur
réveillée en sursaut du premier sommeil de la mort, à arracher
des larmes aux yeux les plus secs. Puis quand, délaissée de
tous, elle se redresse en rampant sur ses mains, pour baiser
le front ridé de sa vieille nourrice, et qu'elle défaille, et
qu'elle retombe dans ce pieux effort, vous assistez au merveilleux
spectacle de l'agonie morale surmontant les horreurs
de l'agonie physique. C'est le départ de l'âme saisi au vol…
de l'âme immortelle!
Le succès a été immense, soudain, passionné. Une fièvre
d'émotion régnait dans la salle; tous les coeurs étaient montés
au diapason sublime de l'actrice. On pleurait, on se récriait,
on applaudissait à chaque scène. A la fin de la pièce,
le public, pris d'un bel accès de fanatisme italien, a rappelé
A côté de Mme Ristori--et ce n'est pas là un médiocre
éloge--M. Rossi a trouvé moyen de se faire applaudir dans
le rôle de Cynire, qu'il a joué avec beaucoup de noblesse et
de fermeté. N'oublions pas Mme Righetti, qui a représenté la
vieille Euryclée, comme si elle sortait de l'Odyssée et qu'elle
eût longtemps servi Ulysse, roi d'Ithaque. On n'a pas plus de
dignité sènile et de bonté domestique. Ce n'est pas la duègne
ni la confidente vulgaire de nos tragédies, mais la servante
homérique, la « vénérable» servante, ainsi que l' appellent
les hébreux eux-mêmes lorsqu' elle lave leurs pieds poudreux
dans l'eau tiédie des trépieds.
Paul de Saint Victor.
Mme Ristori était aux Français mercredi, dans une première
loge de face, que M. Arsène Houssaye lui avait fait offrir
en son nom et an nom de la Comédie-Française; elle n'a pas
perdu un mot ni un geste de Mlle Rachel; elle ne quittait sa
lorgnette que pour applaudir et applaudir encore avec une
sincérité et une effusion tout italiennes.
Mme Ristori, qui est à la scène une admirable artiste, est
dans le monde une vraie grande dame, Mme la marquise Capranica
del Grillo. Elle a été parfaite de courtoisie, d'intelligence
et bon goût. La veille on n'avait pas vu Mlle Rachel
donner le moindre signe d'approbation; mais ce n'était, comme
on le pense bien, ni dépit, ni froideur, ni oubli des plus
simples bienséances dont l'hospitalité, à défaut de tout autre
motif, lui aurait fait un devoir; c'était une attention plus
concentrée, un intérêt plus soutenu, une curiosité plus ardente
qui empêchaient et paralysaient chez elle toute manifestation
extérieure. En admettant qu' il soit vrai, ce dont nous
ne saurions répondre, que Mlle Rachel n'ait pas applaudi une
seule fois visiblement, cela ne prouve pas qu' elle n' ait pas
été frappée de la beauté et du talent, je ne dirai point de
sa rivale, mais de son illustre soeur. Chacun de nous a sa
façon d' exprimer ce qu' il sent, et on est plus ou moins
démonstratif. Mlle Rachel applaudissait en dedans, et la preuve,
c'est qu'elle était si émue et si souffrante, qu' elle a du se
retirer avant la fin du spectacle.
P. A. Fiorentino.
La tragédie de Silvio Pellico, qui servait de début à Mme
Ristori, appartient a l'enfance naïve de l'art tragique;…
… Il faut donc user de la même tolérance envers la
tragédie étrangère. Le succès de «Francesca da Rimini»
est dans une scène, mais cette scène infiniment plus riche en
développements que le «tiens, lis,» et le distique sur les
Francesca, la femme de Lancilotto, aime en secret son beaufrère
Paolo; elle veut le fuir pour rester fidèle à ses devoirs,
et elle le rencontre dans son palais. Ces deux amours impossibles
se croisent, se heurtent, se confondent, avec de
lamentables expansions de tristesse et de désespoir. La plus
belle musique, celle qui a noté l' «Il cuor mi si divide»,
ou le «Tu mi strappi l'anima», n'ajouterait rien à ce duo
émouvant tel que nous l'avons entendu chanter l'autre soir,
par Mme Ristori et M. Rossi. Le coeur, l'âme, les lèvres des
deux artistes ont trouvé des notes, ont créé des sons, ont
inventé des gammes pour exprimer toutes les douleurs et
toutes les extases de l'amour. Parmi les auditeurs, ceux qui
ne comprenaient pas la langue, et ils étaient nombreux,
comprenaient cette musique de la nature passionnée, et trouvaient
l'interprète au fond de leur coeur. Nous n'avons jamais
entendu sur une scène française un pareil unisson de voix,
et à coup sûr, ce n'est pas le talent d' exécution vocale qui
manque à nos artistes de drame, c'est l'audace. Il y a, chez
nous, une certaine façon de moduler la langue de la passion
et de la tendresse, selon les sages principes du Conservatoire.
Il y a une conjugaison du verbe «aimer», notée, avec une
classique retenue, pour toutes les situations et tous les tempéraments.
On autorise un feu de phosphore, à condition
qu'il ne brûlera pas les planches; mais on défend le délire et
on retient l'extase dans les justes bornes. Il y a eu des professeurs
de soixante et quinze ans, qui chevrottaient une
tirade d'amour, et disaient à leurs élèves:--aimez comme
cela. Les Italiens ont le diable au corps: ils prennent leur
soleil pour professeur; leur voix naturellement juste ne compromettra
jamais l'accentuation la plus sfogata, et dans un
duo de tendresse, ils se souviendront mieux de Flore et
Zéphire que de Philémon et Baucis.
Mais voici le plus grand effet de surprise de la soirée italienne.
La tragédie terminée, Madame Ristori a quitté la
poétique robe traditionnelle de la Francesca, et elle a reparu
dans la comédie en toilette de 1855, mode parisienne. La
grande artiste transpose son organe avec une facilité merveilleuse:
elle chantait tout à l'heure la sombre mélopée du
Dante; elle parle maintenant la langue vive et folle du
salon moderne florentin. On joue les «Gelosi fortunati»,
charmante comédie de Giraud, un auteur justement célèbre
de l'autre côté des monts. L'intrigue est simple comme la
vie en ménage de deux jeunes mariés, en pleine lune de
miel. Absence complète de charpente; il n'y a pas même le
moindre Arthur, qui ouvre la porte au moment où on attend
Oscar, ce qui produit toujours en France une certaine sensation,
et prouve l'habileté scénique de l'auteur.
En Italie, le style a un intérête égoïste, et il ne veut pas
s'égarer en pure perte dans le labyrinthe d'une situation.
Giraud met en scène deux époux comme il y en a partout,
et qui se querellent pour un petit cousin fantastique et une
comtesse invisible, comme partout, et se raccommodent comme
partout, au dénouement. Ce tête-à-tête conjugal est joué avec
une verve méridionale inouïe, et un naturel que l'élément
bourgeois ne gâte jamais. Tout cela est jeune, gracieux et
frais comme un rayon d'avril dans la nymphée d'un jardin
de la «Strada Colbi», tout cela est d'une ingénuité ravissante
et d'un caprice adorable. Ce n'est pas joué, c'est vécu.
La comédie court, vole, scintille, sans se donner une minute
de trêve. Les yeux, les gestes, les figures, les mouvements
des deux artistes parlent toutes les langues, ce qui n'est pas
un avantage de médiocre à-propos, dans ce moment parisien
de congrès universel. Le succès de la comédie a complété
le succès de «Francesca». Madame Ristori a obtenu deux
triomphes, sous les deux masques de Melpomène et de Thalie,
comme on dit encore dans le classique pays des arts et du
soleil.
Mery.
La compagnie dramatique de S. M. le roi de Sardaigne a
fait ses premiers débuts le mardi de cette semaine au Théâtre
Italien, et comme nous tenons à nous montrer hospitaliers
envers ces vrais et sincères artistes d'un mérite réel, le feuilleton,
oubliant un instant son congé de la Pentecôte, annoncera
du moins la célèbre tragi-comédienne Adelaïde Ristori,
et ses dignes camarades Ernesto Rossi et Bellotti-Bon.
La nouvelle troupe italienne, en prose et en vers, se compose
rigoureusement des comédiens indispensables dans une
tragédie aussi bien que dans une comédie à quatre ou cinq
personnages; l'amoureux, l'amoureuse, le père noble, la duègen,
la grande coquette… et la compagnie est au complet.
Je ne crois même pas qu'il y ait un traître, à peine un confident;
l'art moderne italien a supprimé les confidents, et
peut-être a-t-il eu tort…
… Eh quoi! une tragédie en cinq actes à peine jouée,
o misère! par trois hommes qui tournent incessamment autour
d'une seule femme! est-ce possible? Est-ce vrai? Et ne
faut-il pas que ces gens-là soient cruellement aveuglés sur
leurs propres mérites, puisqu'ils s'imaginent nous intéresser
avec si peu que cela?
A ce premier obstacle, ajoutez que ces infortunés comédiens
ordinaires du roi de Sardaigne, avaient choisi justement
une des salles les plus vastes et les plus difficiles à
remplir que possède le Paris des puissants et des superbes,
la salle même du Théâtre Italien!…
Cependant, contre toutes les prévisions, et d'assez bonne
heure, la vaste salle du Théâtre Italien s'était remplie! Il
Ils jouaient donc une tragédie, et disons-le tout de suite,
une lamentable et médiocre tragédie…
Mais telle est la toute-puissance et la force de la passion
quand elle est vraie qu'au troisième acte, au moment où
nous n'espérions plus q'un succès d'estime, aussitôt voilà la
salle éveillée et réveillée en sursant qui se récrie au miracle.
On écoute, on regarde, on pleure, on admire; on
dirait une flamme électrique; tout d'un coup l'oeuvre marche,
la tragédie est acceptée, et la tragédienne, qui tremblait,
comprend enfin que ce public est accessible à ses douleurs.
J'ai vu rarement se manifester d'une façon plus inattendue
et plus soudaine l'enthousiasme public; on ne s'entendait pas
le moins du monde; évidemment il y avait une muraille entre
Cette admirable Ristori est donc une vraie et sincère comédienne.
Elle est grande, belle, élancée; elle a toutes les
apparences d'une Romaine; sa tête est intelligente, hardie
et calme; le feu même de son regard est contenu dans les
justes bornes; sa voix est la voix la plus brillante et du plus
beau timbre, un timbre, un timbre plein, sonore, éclatant et velouté tout
ensemble; il n'y a pas au thèâtre en ce moment une voix
plus belle et qui convienne davantage à exprimer les tendres
passions, les douleurs tranquilles, les trépas résignés. La
Ristori! on ne la compare ici à personne. A quoi bon en
effet une comparaison impossible? Nous possédions naguère
une tragédienne incomparable, l'Italie en possède une, et c'est
pourquoi il ne faut pas comparer celle-ci à celle-là. Celle-ci
est une Française de la maison de Corneille; celle-là est
une Italienne de la famille d'Alfieri: l'une appartient à la
tragédie, à l'histoire, au commandement, au règne; l'autre
appartient à l'élégie, à l'intime douleur, aux gémissements,
aux tendres soupirs. Celle-ci est faite pour monter au trône,
pour toucher au sceptre et pour frapper du poignard; celle-là
monte à l'échafaud ou vide la coupe empoisonnée; elle ne
Ah! dans ces deux derniers actes de «Francesca da Rimini»
comme on admire et comme on écoute!…
Même la façon dont est morte cette admirable Ristori, a
semblé logique, naturelle et nouvelle! Elle ne meurt pas à
la façon de Madame Rose Chéri, dans «Clarisse Harlowe»,
lorsque l'habile comédienne expire en se débattant contre cette
mort impie; elle n'est pas morte à la façon de «la Dame
aux Camélias», lorsque Madame Doche s'enveloppe, encore
souriante et coquette, dans le linceul brodé de la courtisane
amoureuse,
Une étrange distinction de cette femme-là (nos grandes
coquettes de profession vont-elles assez crier au scandale, à
l'impossible!), c'est qu'elle joue avec son beau visage un peu
Elle a donc réussi complètement. On l'a applaudie avec
des larmes, on l'a voulu revoir, on l'a rappelée, elle est
revenue, et si contente elle était d'avoir échappé aux périls
du parterre française! L'instant d'après, comme on ne l'attendait
guère, elle a reparu, mais ma foi si leste et si vive,
en petite robe du matin, et pas d'autre ornement que ses
dents blanches qui sont bien à elle, tout autant que ses cheveux
aile de corbeau! Elle jouait une comédie, un proverbe
du comte Giraud, l'inventeur des proverbes.
… Ristori, dans ce rôle composé par elle, la chatterie
et la câlinerie même de Jenny Vertpré, quand Jenny
Vertpré n'avait pas trente ans et qu'elle s'abandonnait à ses
câlineries armées de griffes. En un mot, cette heureuse Ristori
(et l'on va voir si je lui fais un compliment) joue avec l'esprit,
la grâce, l'attention, le naturel de Madame Allan elle-même;…
elle est tout sourire, elle est tout badinage, et l'on ne croirait
jamais, la retrouvant si vivante après cette agonie, que
ce soit la même «Françoise de Rimini» que nous avons
laissée étendue au cercueil!
Dans la comédie on a beaucoup aimé Bellotti-Bon, qui est
un jeune premier léger, de bonne compagine et de bonne
humeur. Les uns et les autres ils ont fait grandement leur
devoir, et l'on peut dire à chacun d'eux comme à Figaro la
belle Suzanne: “Tu viens de gagner ton procès!”
Et moi qui me disait ce matin: Bon! Belloti-Bon et la
Ristori attendront bien une huitaine de jours! Nous sommes
en un jour de chômâge, et le feuilleton est supprimé avec
le lundi de la fête! Ainsi disant, je voulais tout au plus
écrire une vingtaine de lignes pour annoncer cette élégie…
Eh bien! j'avais compté sans ces bons et braves hôtes que
l'Italie envoie à la France… Or que dit le proverbe? “Qui
compte sans son hôte compte deux fois”.
Jules Janin.
Compagine dramatique du roi de Sardaigne--Françoise de Rimini, tragédie
en 5 actes, par Silvio Pellico.
Constatons avant tout l'immense succès et le véritable talent
de Madame Ristori.
Et cette fois, tout auteur dramatique que nous sommes,
tout disposé que nous sommes, en cette qualité, à revendiquer
notre part de succès dans les pièces que nous faisons
représenter et à ne laisser aux acteurs que celle qui leur
revient, nous commençons par louer l'artiste au détriment
du poète.
Je ne sais si le succès de la «Francesca da Rimini» a
été fait en Italie par le style de la pièce ou par le fond
du sujet.
Si c'est par le fond du sujet, l'Italie n'est pas difficile.
Reste la question du style.
Quoique la langue italienne, la langue écrite surtout, nous
soit familière à peu près à l'égal de la langue française,
peut-être la hauteur et le charme poétique d'une tragédie
nous échappent-ils. Avouons donc sur ce point notre insuffisance
comme juge.
Mais le succès de «Francesca da Rimini» n'est-il pas
bien plutôt dans les malheurs politiques de son auteur que
dans son talent théâtral?
Là est pour nous le mot de l'énigme.
Une courte analyse de l'ouvrage viendra à l'appui de notre
pensée.
Tout le monde connaît les vers de Dante qui terminent
le Chant V de l' Enfer:
“Nous lisions un jour par plaisir les aventures de Lancelto,
et comment amour l'étreignait.
“Nous étions seuls et sans aucune défiance.
“Cette lecture fit que plusieurs fois nos yeux humides se
cherchèrent et que notre visage se décolora.
“Mais un seul point fut celui qui nous vainquit.
“Quant nous vîmes le doux sourire de la maitresse
cueilli par le baiser de l'amant, celui qui ne sera jamais
séparé de moi baisa tout frissonnant mes lèvres!…
“Et ce jour-là, nous ne lûmes pas plus avant…”
Voilà le merveilleux passage de Dante, auquel Silvio Pellico
a emprunté sa tragédie.
Voici la fable plus que simple du poète dramatique.
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